“Graham & Amanda”

S’autodétruire. S’il y avait bien un endroit dans toute cette maudite ville qui était fait pour ça, c’était celui-là. Bien sûr, il y avait des gens parfaitement heureux qui venaient s’amuser ou passer un bon moment, parfois même qui fêtaient un mariage ou un autre événement important. Mais la plupart des clients du Dark Paradise ne venaient que dans le but de nourrir cette souffrance qu’ils portaient en eux. L’atmosphère était sombre, presque malsaine. Il y avait le podium où se trouvaient les stripteaseuses du moment, et en face le public. Plus loin, il y avait le coin privé où Amanda ne laissait entrer qu’une poignée d’élite. Et les apparences ne montraient que la moitié de ce qui se passait dans les fins fonds de ce club désormais réputé. A côté, cette salle principale était encore bien sage. Elle, elle se trouvait souvent derrière le bar, comme en ce moment même. C’était une soirée comme les autres. Aussi banale et ennuyante que toutes les autres. Quand les gens entraient dans son club, ils étaient bien souvent transportés dans un autre monde. Pas forcément un meilleur monde, d’ailleurs. Mais elle, c’était son univers. Elle vivait dans cette ambiance particulière au quotidien. Et elle le reflétait mieux que personne. Vêtue d’un pantalon en cuir noir ainsi qu’un haut au décolleté impressionnant, noir également, la belle brune s’occupait du service. Hormis l’envie de fumer qui commençait à se faire sentir, elle était de bonne humeur. Du moins autant qu’une femme comme Amanda pouvait l’être. Servant l’un de ses habitués, elle s’approcha finalement d’un nouveau. Non pas qu’elle se souvenait de la tête de tous ses clients. Mais avec le temps, elle savait parfaitement reconnaitre le visage de l’homme qui se demandait ce qu’il fichait là. Souvent, ils ne venaient qu’une fois. Parfois, au contraire, ils devenaient accros à ce qui les avait tant rebutés, la première fois. Alors qu’elle lui demandait ce qu’il voulait, il demanda d’une voix distraite un whisky. D’une main experte, elle se saisit rapidement de l’une des bouteilles qu’elle servit avant de le poser face à son client. Comme il n’avait rien précisé, elle lui avait servi son whisky préféré, et sec bien entendu. – Et voilà pour vous. dit-elle son regard ravageur dirigé vers le sien avant de reprendre en le regardant d’un peu plus près. – J’espère que vous n’allez pas vous contenter de boire. C’est qu’elle avait une boite à faire tourner, Amanda.

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“Graham & Amanda”

Alors qu’elle lui pose sa question, leurs yeux se croisent pour la première fois. Il a ce regard noisette un peu perdu, complètement paumé. Celui qui invite à se demander la raison de tous ses tourments qui semblent le submerger. Mais elle ne cherche pas davantage. Elle fait son boulot, Amanda. Rien de plus. Et elle n’a pas le temps pour écouter des lamentations. Sinon, elle gérerait un bar, et non un club de striptease. D’ailleurs, elle se demande pourquoi il est là, si ce n’est que pour boire son whisky délicieux, certes, mais qu’il peut retrouver dans des lieux beaucoup plus communs qu’ici. Il n’est pas à sa place, c’est flagrant. Il détonne auprès des autres mais elle s’en fiche. Ce qu’elle veut, c’est tout le contraire. Ce sont des clients qui sont faits pour son club. Eux, ils sortent leur portefeuille aussi facilement qu’elle se prépare son joint. Alors elle le regarde, légèrement déçue, mais non surprise. Il fallait s’y attendre. Mais il relance la conversation. Elle range la bouteille dont elle vient de se servir sans se presser avant de baisser les yeux vers lui pour lui répondre. – En personne mon joli. lance-t-elle avec cette fois un sourire joueur, mais énigmatique, sur le visage. Elle ne cherche pas davantage à relancer le sujet. Elle a d’autres clients dont elle doit s’occuper, d’autres qui lui rapporteront sans doute plus que cet ange déchu en enfer. Mais elle le laisse tranquille. Il peut encore changer d’avis.

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“Graham & Amanda”

Concentrée sur le cocktail qu’elle est en train de terminer, elle entend subitement quelqu’un hausser la voix. Elle relève les yeux et voit que c’est encore lui, son ange déchu. Alors elle pousse un soupir et sert son client avant de s’approcher à nouveau de lui. Elle regarde un instant la danseuse qui éloigne parce que, mine de rien, elle est protectrice avec ses employées. Elle l’a été, elle sait ce que c’est. Peut-être qu’elle n’est pas si mauvaise qu’elle en a l’air en fait. Ou peut-être qu’elle est pire. Une fois à la hauteur de ce nouveau client, elle prend rapidement la parole, sans chercher à faire preuve de tact, avec sa froideur habituelle, mais sans une quelconque preuve d’irritation, constatant simplement. – Si tu ne voulais pas qu’une fille à moitié nue t’approche, il ne fallait pas venir dans un club de striptease. Elle voit bien, pourtant, qu’il a l’air vraiment mal. Elle le voit, mais elle ne le regarde pas vraiment. Cela dit, il ne peut lui reprocher la véracité de ses propos. Alors, pourquoi est-il là, cet ange déchu, s’il en vient même à repousser toutes les personnes qui s’intéressent à lui ? Regardant à nouveau la stripteaseuse déjà sur les genoux d’un autre client, Amanda reprend finalement, cette fois un peu plus intéressée. Pas intriguée non plus hein, juste… Intéressée. – Divorcé ? Veuf peut-être ? Décidément, la délicatesse n’est vraiment pas son fort. Mais il a le mérite qu’elle s’intéresse un tant soit peu à lui.

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Il affiche un sourire. Le premier qu’elle voit. Un sourire complètement faux, d’ailleurs. Elle le sait, parce qu’elle en est la spécialiste. Les sourires ironiques, les sourires séducteurs, les sourires tristes même. Mais un sourire heureux et sincère, elle commence à se dire que c’est plus rare qu’un jour sans cocaïne. Ou peut-être que c’est cet endroit qui est maudit, sa vie qui est maudite. Elle aime bien l’idée. C’est macabrement poétique. Mais elle se concentre davantage sur la voix de cet homme. Il a ce ton grave, plutôt séduisant. S’il n’avait pas cette tête de chien battu, il serait peut-être sexy. Mais sa réponse est aussi prévisible qu’ennuyeuse. L’amour, c’est vraiment une merde. Elle ne connait pas l’amour, Amanda. Elle a vu ses parents s’aimer, et quelques films où on en parlait. Mais elle a vite décidé que ce n’était pas fait pour elle. Et quand elle voit l’ange déchu, cela ne fait que la conforter dans ses positions. L’amour, c’est de la merde. Et pourtant, Dieu sait qu’elle en prend, des merdes. Mais celle-ci, elle s’est toujours promis que jamais, elle n’y toucherait. Personne ne mérite qu’on se lamente sur son sort. Néanmoins, elle garde le silence. Elle a le mérite de respecter la souffrance des autres. Après tout, il pourrait bien rire, lui, si elle lui disait que son seul amour avait été la danse. Et elle l’avait quittée, elle aussi. Mais elle sort de ses pensées, étonnée par sa question. Ou plutôt, par un détail. Elle arque un sourcil, l’air presque un peu hautain. – Je ne t’ai pas encore autorisé à me tutoyer. Et elle est sérieuse. Elle a oublié le vouvoiement sans faire vraiment attention. Mais elle n’aime pas qu’on se montre trop familier avec elle. Ça donne l’impression qu’on la connait alors que personne ne sait vraiment qui elle est. Alors que lui, elle sait très bien qui il est. Elle a déjà une image bien précise de lui dans sa tête. Un homme malheureux, abandonné par la femme qu’il aime, exactement comme tous les autres. C’est ce qu’elle croit, en tout cas. Mais pas désagréable, pas trop, elle lui répond tout de même. A sa manière. – Je n’ai jamais compris cette expression. « Avoir quelqu’un ». Comme si dans un couple, on doit forcément appartenir à l’autre. constate-t-elle, un peu dépitée. Elle est plus bavarde que d’ordinaire. Il ne le sait pas mais à cet instant, elle est sous l’emprise de la drogue qu’elle a sniffé un peu plus tôt dans la soirée. Alors elle lui fait part de sa réflexion, naturellement. – Trouve-toi une fille. Saute-la. Tu verras, ça ira mieux. Et si ça ne marche pas… Prends-en une deuxième. Et ainsi de suite.  

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“Graham & Amanda”

Elle le fait rire. Elle le fait vraiment rire. Elle n’est pourtant pas drôle, Amanda. Ou alors, elle n’a pas un sens de l’humour commun. Mais il a l’air plutôt amusé. Ça change des clients auxquels elle fait peur. Mais quand il l’appelle « princesse », il lui arrache l’ombre d’un sourire. Le mot lui évoque les contes de fées, les grandes robes roses et tout le tralala. Tout ce qu’elle n’est pas. Elle n’a aucune manière, elle n’a rien d’une princesse, ou alors elle est une princesse de l’ombre. Mais d’un ton joueur, l’air entendu, elle décide de lui répondre. – Nous sommes d’accord. Elle se demande l’espace d’un instant si elle est vraiment en train de « plaisanter » avec lui, et puis elle finit par reprendre la parole. Sa réponse veut à la fois tout dire et rien dire. Si elle a une vision aussi négative du fait d’être en couple avec quelqu’un, c’est bien qu’elle s’y refuse. Elle n’a jamais eu de relation sérieuse. En général, elle ne couche qu’une fois avec un homme. Elle a des amants occasionnels mais rien qui ne s’apparente à l’amour. Rien qui ne s’apparente à l’idée d’appartenir à quelqu’un. Sur sa réflexion, elle finit par lui dire ce qu’elle pense. Elle lui donne un conseil, un mauvais conseil. Parce qu’aussi agréable qu’il puisse être, le sexe comme elle en parle peut être destructeur. Mais il lui affirme tout de suite que cela ne lui ressemble pas. Elle se doute qu’il n’agit pas ainsi. Il a tout l’air de l’homme gentil, celui qu’elle ne regarde même pas. Non, elle, elle préfère ceux qui font souffrir, ceux qui ne respectent pas… Elle a trop besoin de se faire du mal, Amanda. Mais elle n’est pas d’accord avec lui. - C’est fou les conneries qu’on peut sortir quand on est amoureux. Et elle le pense. Elle hésite une seconde, puis fait signe à l’une de ses serveuses de la remplacer. Elle attrape son sac et quitte le bar. Elle passe devant cet homme sans le regarder, et s’éloigne un peu avant de se tourner vers lui. – Suis-moi. demande-t-elle d’une voix plus charmeuse, plus envoûtante.  

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Elle aime jouer, Amanda. Elle ne fait que ça, jouer. Alors les paroles de cet homme, elle les perçoit presque comme un défi qu’il lui lance. Il affirme ne plus pouvoir ressentir quoi que ce soit, elle va lui prouver le contraire. Sans en dire davantage, elle se dirige vers son bureau, caché un peu plus loin de la salle principale. Elle ne l’attend pas, elle ne le regarde pas. Elle sait qu’il va la suivre, elle n’en doute même pas une seconde. Et elle a raison, puisqu’elle entend à nouveau sa voix grave à ses oreilles. Il semble qu’il ait adopté son surnom mais elle lui cache encore le sien. Elle ne prend pas la peine de lui répondre. Elle n’a jamais aimé parler pour ne rien dire, elle ne parle d’ailleurs pas beaucoup. Ils arrivent dans son bureau. Il parait aussi sombre que le reste de la boite mais est coloré par certaines touches de rouge vif. Il peut très vite constater qu’il n’a aucune inquiétude à se faire, pas au sujet de ses employées en tout cas. Elle attrape son paquet de cigarettes, elle le tend vers lui au cas où il en veut une avant d’en saisir une et de l’allumer. Elle commence à fumer, tranquillement. Elle reste éperdument silencieuse. Il doit se demander où il a atterri. Mais elle a besoin de sa dose de nicotine pour le moment, alors elle se contente de savourer sa cigarette durant quelques minutes, avant de se décider à parler. – Alors, tu penses vraiment qu’il est impossible que tu ressentes quoi que ce soit ? demande-t-elle, l’air un peu perplexe. Elle ne comprend pas. Elle ne voit pas les choses de la même manière. Il y a tellement de choses qu’elle ne sait pas, Amanda. Pas encore.  

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Elle le regarde fumer du coin de l’œil. Un ancien fumeur, il en a tout l’air. Pendant quelques instants, elle savoure simplement le moment. Elle a un train de vie agité mais en réalité elle adore ce calme. Seule la musique qu’on entend au loin vient les troubler avant qu’elle ne se décide à briser le silence. Elle est amusée de l’assurance avec laquelle il lui répond. Pour lui, cela semble être comme une évidence. Elle n’en connait pas beaucoup sur l’amour, mais la luxure n’a plus aucun secret pour elle. On a sans doute besoin d’un cœur pour aimer, mais pas pour baiser. Alors elle écrase sa cigarette dans son cendrier. Elle prend celle de l’ange déchu sans lui demander son avis pour en faire de même. Et finalement, elle pose ses deux mains contre sa nuque pour l’attirer jusqu’à elle. Ses lèvres plaquées contre les siennes, elle l’embrasse avec passion, avec cette fougue qu’elle cache aux passants. Elle n’y met aucune tendresse, aucune douceur. Non, elle l’embrasse sauvagement. Brutalement. Bestialement. Elle entrouvre ses lèvres et laisse sa langue partir envoûter celle de cet homme dont elle ne connait pas le nom. En même temps, elle resserre l’emprise qu’elle a contre sa nuque, comme décidée à ne jamais interrompre le baiser enflammé qu’elle lui vole. Elle ne l'embrasse pas avec innocence, elle l'embrasse d'une façon sans équivoque. Elle cherche à faire naitre son désir, son envie, comme pour vérifier s’il est aussi inerte qu’il le prétend. C'est un appel au sexe qu'elle fait.   

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Elle le sent d’abord surpris mais très vite, il réagit. Comme elle l’imaginait. Plus désireux même encore. Elle sent l’une de ses mains venir se poser contre son dos, l’autre contre sa tête alors qu’il répond avec tout autant de fougue au baiser qu’elle lui offre, non, qu’elle lui vole. Elle n’est même pas surprise. Elle sait depuis longtemps que l’homme ne sait pas résister. Elle prolonge leur baiser plus avidement encore. Elle en oublie même l’espace d’un instant son but premier parce que son corps réagit aussi, instinctivement. Il embrasse délicieusement bien. Mais c’est lorsqu’elle le sent subitement la plaquer contre le mur qu’elle sent cette chaleur savoureuse l’envahir. Elle aime la manière dont il la bloque. Elle aime quand c’est violent, quand c’est sauvage. Elle est même agréablement surprise par sa réaction. Il pensait ne rien ressentir du tout mais il contient bien plus de fougue en lui qu’il ne le croit. Plaquée contre le mur, elle se laisse faire. Elle tire même le haut de l’ange déchu vers elle pour le garder contre elle. Elle savoure quelques secondes encore leur baiser brûlant avant de mordre sa lèvre inférieure et reculer finalement ses lèvres. Dans la position qu’ils ont, leurs visages sont encore très près l’un de l’autre. Elle plonge son regard charbonneux dans le sien, elle le contemple avec impertinence, presque comme si elle le provoquait alors qu’elle réitère sa question. – Tu penses toujours que tu es incapable de ressentir quoi que ce soit ? murmure-t-elle sans bouger avant de passer sa langue sur ses lèvres sans le quitter de ses yeux insolents. 

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“Graham & Amanda”

Le regard dévorant de l’homme qui lui fait face ne laisse pas de place au doute. Elle sait qu’elle est parvenue à son but, elle sait qu’il a envie d’elle, là, tout de suite. Mais ses paroles la troublent légèrement. Elle est différente des autres, il a raison. Elle l’a toujours été. Mais pas en bien. Alors qu’à cet instant, elle l’entend plutôt comme un compliment qu’elle ne sait pas comment prendre. Elle voulait au contraire lui montrer que la première femme venue est capable de l’envoûter s’il se laisse charmer, parce que c’est ce qu’elle a pu constater au fil des années avec tous les hommes qu’elle a connus. Mais lui, il la met à part. Quelque part, c’est agréable. Elle a toujours aimé briller, Amanda. Même la manière dont il l’appelle princesse lui plaît de plus en plus. Mais ce n’est qu’illusion, tout ça. Elle, elle en a conscience. Alors elle ne répond pas à ses jolies paroles. Elle n’en a pas le temps de toute manière. Parce que, très vite, il rapproche à nouveau son visage du sien pour l’embrasser à son tour. Il dévore ses lèvres alors qu’elle répond instinctivement au baiser passionné qu’il lui offre. Elle mentirait si elle disait qu’elle ne prend pas plaisir à vivre ce moment. Alors qu’ils prolongent avec envie leur baiser, elle le sent la plaquer plus encore contre le mur, collant son corps contre le sien. Il vient en même temps passer ses mains sur ses hanches puis dans son dos. Il ne perd pas de temps avant de trouver la fermeture de sa robe pour commencer à la descendre. C’est à ce moment-là qu’elle se dit qu’elle a assez joué. Elle pose ses mains contre les épaules de l’ange déchu et le repousse doucement mais fermement. Un sourire provocateur apparaît alors sur son visage. – Tu devras t’en contenter. déclare-t-elle avec assurance avant de remonter sa fermeture. Elle remet ses cheveux en place et se dégage pour le laisser là. Elle est insaisissable, il l’apprendra. Elle voulait simplement lui prouver qu’il a tort. C’est chose faite maintenant. Alors elle est déjà prête à retourner à sa vie comme si rien ne s’était passé.

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