Le réveil est difficile. Je marche d'un pas lent jusqu'à la cuisine, démotivé. J'ai bien compris que Nirvana faisait tout pour qu'on ne se voit pas. Je ne lui en veux pas, ça non. Je la comprends. Elle doit être aussi sous le choc que moi, et après tout, peut-être qu'elle est mieux seule avec sa mère, sans un père dealer et meurtrier à ses côtés. Je lâche un soupire et ouvre le frigidaire. Putain j'ai plus de jus d'orange. Je râle. Je claque la porte du frigo. Je craque. J'ai besoin de sortir. Je prends les clés de la voiture et me dirige vers la porte d'entrée de mon appartement. Un tour en caisse, ça me fera du bien. Je regarde mon clébard qui me fait les yeux doux. C'est un labrador. Il s'appelle Rafale. Ou Raf' pour les intimes. J'hésite un instant à le prendre avec moi. Puis finalement non. Je lui tapote la tête.

- Sois sage.

Puis je sors. Je monte dans la voiture, boucle ma ceinture, et démarre. J'ouvre les vitres pour laisser le vent pénétrer la voiture et me fouetter le visage. La vache ça fait du bien un peu d'air. Mais soudain, alors que je roule en ligne droite, j'aperçois une voiture me doubler. Jusque là rien d'anormal. Jusqu'à ce que la voiture stagne à ma hauteur. Je tourne mon regard vers elle. Le conducteur.  Je ne le connais que trop bien. Il fait parti d'un gang que j'ai arnaqué. Je suis parti avec leur argent ET la drogue. Je sens que cette journée ne sera pas de tout repos finalement. Si je savais à quel point j'étais loin du compte... Ce sera bien pire que ça.

J'accélère un peu pour le semer, mais il me colle, et sur ma droite, une nouvelle voiture arrive pour me prendre en sandwich. Un autre de ces types. Mon regard est sombre et je me concentre sur la route. Je n'ai pas peur non. Pas pour le moment. Je suis énervé, c'est vraiment pas le moment des règlements de compte. J'accélère encore un peu. Derrière, une autre caisse me colle au cul... Un troisième gars du gang. Ok les gars vous jouez à quoi? Vous voulez que je m'arrête pour me péter la gueule? Ca, ça arrivera pas mes mignons!

J'accélère encore, et leur lance des regards noirs, leur montrant qu'ils ne m'impressionnent pas. Mais ces connards accélèrent aussi, faisant de sacré bruits de moteur. Croient-ils m'impressionner? On continue notre petite course, quand soudain, on arrive à un passage à niveau. Seulement voilà, les barrières sont fermées, le feu clignote rouge, et on arrive à toute allure. Ils m'empêchent de tourner, l'autre me pousse par derrière. Et là mon coeur se met à s'accélérer. Cette fois l'adrénaline est trop forte. Cette fois, j'ai vraiment peur. Je suis encerclé par ces enfoirés qui me poussent droit vers les rails.

- Putain putain putain!!

D'un coup, j'appuie mon pied à fond sur le frein. Le type de derrière fonce dans ma caisse et me pousse. Le train arrive à toute allure et klaxonne. Je n'ai pas le temps de réfléchir. Je détache rapidement ma ceinture et commence à ouvrir la portière pour sauter du véhicule. Trop tard. Je suis encore dans la voiture quand le train la percute de plein fouet. Les voitures de mes ennemis se barrent, accélérant comme jamais. La mienne, elle explose en morceaux. Je me fais éjecter contre le béton. Et là... J'ai l'impression que tous mes os sont brisés en milles morceaux. Je suis allongé dos au béton chaud et l'essence, à laquelle vient se mêler l'odeur du sang. De mon sang. Je lâche un râle de douleur. Putain. J'ai jamais eu aussi mal de toute ma vie. Je ressens la douleur dans tout mon corps, surtout dans mes côtes et mon dos. Je grimace, je râle. Le train s'est stoppé un peu plus loin et le chauffeur accourt vers moi, plus paniqué encore que moi-même.

- Monsieur! Monsieur! Ca va aller monsieur vous inquiétez pas! J'ai appelé une ambulance. Ils arrivent. Vous inquiétez pas monsieur. Ca va aller. Ca va aller l'ambulance arrive. Vous inquiétez pas!

- Ta gueule putain!

Je lâche un cri de douleur. J'en peux plus. Je veux qu'on m'achève. Je veux que la douleur s'arrête.

Je me rappelle l'ambulance. Je me rappelle vaguement le trajet. Puis plus rien. Je suis dans un lit d'hôpital. On vient de m'opérer. Je suis encore endormi.

J'ouvre doucement les yeux. La douleur me lance horriblement. Mais c'est déjà beaucoup plus supportable qu'après l'accident. Tout me revient doucement en tête pendant que je me réveille. Quand mes yeux s'ouvrent enfin complètement, c'est le visage de ma princesse que je vois. Plusieurs sentiments se percutent en moi. Je suis content de la voir. Je suis en colère qu'elle vienne me voir à l'hôpital car elle a surement mieux à faire. Je déteste qu'elle me voit dans cet état. Je déteste ETRE dans cet état. Et j'ai envie de péter la gueule des connards qui m'ont poussé sous un train.

Mes sourcils se froncent alors que je regarde son beau visage. J'ai du mal à être en colère en la regardant, ma poupée. Mais pourtant je le suis. Et je me dis qu'en l'envoyant bouler, elle n'aura surement plus pitié. Elle pourra repartir à ses occupations et ne pas se sentir obligée d'être ici. Elle pourra se dire que je suis un connard qui ne mérite pas son attention. Et elle pourra vivre sa vie tranquillement. Finalement Olivia avait surement raison. C'était mieux ainsi pour elle. Alors le ton de ma voix est cruellement froid.

- Qu'est ce que tu fais ici? Tu as mieux à faire. Va t'en.

Je commence à m'assoir dans mon lit, mais en me redressant, je lâche malgré moi un râle de douleur. Putain c'que ça fait mal! Mais j'y peux rien je suis incapable de tenir en place. Pourtant la douleur m'oblige à me rallonger, et ça m'énerve encore plus. Je n'ai pas envie que Nirvana me voit comme ça. Je veux qu'elle parte.

- Pourquoi t'es encore là?

Je ferme un instant les yeux et essaye de me concentrer sur je ne sais quoi pour oublier la douleur. Je n'ai pas encore eu le verdict du médecin. Je ne sais pas où j'en suis. Mais j'imagine qu'il va bientôt passer pour me dire quand je peux sortir. Le plus vite possible j'espère mais... mais... Mes jambes? Je les sens à peine! J'arrive pas à les bouger! Mes yeux s'agrandissent de peur et je me redresse doucement malgré la douleur, commençant à pincer la peau de mes mollets sous la couverture. Je sens. Mais à peine. Et impossible de bouger!

Le ton sec et décidé qu'elle emploie pour me dire qu'elle ne partira pas me surprend. D'un sens je suis touché, heureux qu'elle reste. Mais une partie de moi a envie de lui dire qu'elle a mieux à faire que de s'inquiéter pour moi, qu'elle devrait profiter de la vie. Et mon égo insiste pour lui dire de partir, pour qu'elle ne me voit pas dans cet état. Mais je me contente de ne rien dire, essayant de me redresser, commençant à paniquer car je ressens à peine mes jambes.

J'entends la douce voix de Nirvana me dire d'arrêter de m'agiter. Je me rallonge en lâchant un soupire, puis écoute ce qu'elle a à me dire. J'essaye de fuir son regard. Mais plus elle parle, plus je sens le stress m'envahir, et je finis par plonger mon regard dans le sien l'air de dire "vas y, dis moi franchement ce qui m'attend". Et elle le dit. Je ne vais pas pouvoir marcher pendant un long moment. Je suis encore trop sous le choc pour me réjouir d'être en vie et de pouvoir remarcher un jour après m'être pris un train en pleine poire. Pour le moment j'ai un mélange d'émotions qui se battent en moi. De la colère, de la haine envers les connards qui m'ont fait ça, mais aussi de la peur. J'appréhende la suite. Ma fierté en prend un sacré coup. Mais la présence de Nirvana me rassure.

Mes yeux se sont d'abord agrandis d'inquiétude, puis j'ai fuit à nouveau son regard. J'avais plus l'air bougon qu'autre chose, comme un enfant à qui on aurait dit qu'il n'aurait pas de sucette. En fait, je commence vraiment à être énervé. Oui c'est ça, le sentiment qui prend le dessus pour englober tout le reste. Et je préfère fuir le regard de Nirvana. Oui mon égo en a pris un sacré coup. J'ai cependant toujours mes mains dans les siennes, et a me fait du bien. Je ne les retire pas. Je serre même doucement ses mains, comme pour lui montrer ma reconnaissance sans avoir à parler. Je n'en ai pas envie pour l'instant. Mes après quelques secondes de silence, une question me taraude. Alors je tourne enfin à nouveau mon regard vers celui... de ma fille.

Je vais devoir rester ici combien de temps?

Pas trop longtemps j'espère... Je vais jamais tenir sinon...

Ca me fait étrange de la regarder. Nirvana. Ma princesse. Je ne l'avais pas revu depuis que j'avais appris qu'elle était ma fille. Et elle était là. A mon chevet. J'ai l'impression d'être mourant. C'était tout comme. Car je crois que je ne survivrai jamais à rester cloué à un lit. Ca non. Pas moi. Autant me tuer sur le champ.

Demain soir. J'ai deux jours à tenir. Je dois m'obliger à rester tranquille. Je veux rentrer chez moi... J'écoute Nirvana et je suis touché qu'elle veuille prendre soin de moi. Mais au fond je ne peux m'empêcher de penser qu'elle le fait par obligation. Je ne veux pas lui gâcher la vie je ne veux pas être un fardeau. Et je ne veux pas être assisté comme un demeuré d'handicapé.

Je lui adresse un léger sourire. Ca aurait été quelqu'un d'autre, je l'aurais envoyé chier méchamment. Je ne supporte pas qu'on s'apitoie sur mon sort. Mais c'est ma fille. Et je ne veux pas la faire fuir.

C'est gentil mais ça va t'en fais pas... Tu as surement mieux à faire t'inquiète pas. J'suis entre de bonnes mains.

Une partie de moi voulait qu'elle reste. Une autre voulait qu'elle parte. Je ne pouvais me retirer les images de l'accident de la tête. Et là, je repense à Rafale. Heureusement que je ne l'ai pas emmené finalement... Mais merde Rafale! Elle peut pas rester toute seule! Je lâche un soupire en fermant un instant les yeux, puis les rouvrant.

Nirvana... Je suis désolé mais... J'ai une chienne. Elle peut pas rester seule... Est ce que tu crois que... Tu pourrais t'en occuper jusqu'à ce que je rentre? Je veux pas t'embêter avec ça mais... J'ai pas vraiment le choix.

Je n'avais personne d'autre... Et puis je ne confierais jamais Rafale à n'importe qui. Je faisais déjà confiance à Nirvana. Je savais qu'elle en prendrait soin. J'espérais juste que ça la dérangerait pas trop. Je détestais avoir à demander des services, à déranger. Mais cette fois je n'avais pas le choix.

Elle répond oui immédiatement à ma demande. Alors j'affiche un sourire plus sincère. Me voilà rassuré concernant Raf... Je n'arrivais toujours pas à accepter ce qui m'était arrivé. Mais j'étais au moins content que Nirvana soit près de moi malgré tout. Alors durant les deux prochains jours passés à l'hôpital, j'ai cessé de la rejeter. Je l'ai laissé prendre soin de moi, et je me suis même remis à blaguer un peu. Du style "au moins j'ai une jolie fille qui s'occupe de moi". Je retrouvais doucement mon caractère, mais ça, c'était avant de pouvoir sortir. Parce que ça m'a rappelé à quel point j'étais devenu... un moins que rien.

Entre temps, Olivia était passée me voir, et je dois avouer que j'ai pas du tout apprécié sa visite... Pas après ce qu'il s'est passé. J'éprouvais désormais autant de haine que d'amour pour la mère de ma fille. Et c'était quelque chose de difficile à supporter. Et plus que tout, je ne voulais pas qu'elle me voit dans cet état. Ca me mettait hors de moi.

Puis le grand jour arriva. Je pouvais enfin rentrer chez moi. Je m'étais assis dans mon lit, pensant qu'on allait m'aider à marcher jusqu'à la voiture de Nirvana. Mais ce fut pire que ça. Car elle était arrivée avec un fauteuil roulant.

Sérieux?

Oui, sérieux... J'étais incapable de tenir debout...