Un premier événement vient bouleverser la fillette de 5 ans. Elle ne s'y attendait pas vraiment mais ses parents se séparent et à vrai dire, elle n'est pas plus triste que ça de quitter la vie superficielle de leur grande maison de Beverly Hills quand son père obtient leur garde à tous les trois, ses deux grands frères et elle. Ils s'envolent pour New York, pour une nouvelle destination et pour une nouvelle page de son existence. Plutôt réservée, elle tisse malgré tout des liens forts et sincères avec le fils de sa belle-mère, de deux ans son aîné. Mais plus Jo grandit, moins elle est facile à vivre. Les aller-retours à l'autre bout du pays la dépriment profondément, parce qu'elle n'a plus aucune envie de revoir sa mère, ses exigences ridicules et sa vie de poupée barbie botoxée. Elle se ferme peu à peu la petite rouquine, restant à sa place, dans l'attente de pouvoir faire sa vie, loin de tout ce qu'on lui impose.
Alors à la fin du lycée, après tant de temps à rester silencieuse, sans se rebeller, elle accepte la place à la fac qu'on lui propose, ses parents payant pour tout, évidemment. Mais une fois l'argent pour subvenir à ses premiers mois loin de la maison, sa voiture chargée de ses affaires et quelques embrassades hypocrites échangées avec sa mère, c'est sans une seule hésitation qu'elle choisit de ne jamais gagner le campus et de filer tout droit à l'autre bout du pays. Alors bien sûr, ils ne l'ont pas bien pris, même si elle suppose que ce soit plus les 9000 dollars perdus dans l'inscription qui chiffonne sa mère que sa fuite à des kilomètres loin d'eux. Seul son père semble la soutenir, parce qu'il garde contact avec elle, sans jamais émettre le moindre jugement sur son choix. Et puis il lui vire de l'argent de temps en temps, pour l'aider à tenir le cap. Elle finit par poser ses valises à Miami quelques temps, enchaînant les jobs de serveuse, dans des cafés, dans des fast foods, partout où on veut bien la prendre même pour un temps court. On ne peut pas dire qu'elle reste longtemps seule, sachant rapidement s'entourer de filles aussi jeunes qu'elle, aussi perdues qu'elle dans une ville très loin de chez elles, sans grand rêve dans la tête. Des copains, des copines, relations éphémères sans jamais faire battre trop fort son coeur. Une de ses amies la convainc de postuler à un truc un peu fou, un peu plus loin de chez eux. Orlando, une ville qui ne lui dit pas grand chose, à part pour le parc Disney. Et en parlant de Disney, c'est bien là qu'elle se rend. Et qu'elle réussit à convaincre que ses longs cheveux roux ne sont pas son seul atout pour devenir une princesse du parc. Pendant deux ans, elle est Ariel, signant des autographes, se peignant les cheveux d'une fourchette, faisant rire les petits et rêver les plus grands.
C'est là qu'elle rencontre le premier amour de sa vie, ancien Gaston reconverti, tentant de percer dans la réalisation cinématographique. Elle l'aime la petite Johann, suffisamment pour abandonner son job à Disney après presque trois ans de bons et loyaux services. Elle rend sa queue de sirène, quitte le rêve quotidien pour retourner à Miami, mettant sa vie de côté pour donner la priorité aux rêves de son petit ami, retrouvant son tablier de serveuse.
Comment les choses ont commencé à tourner dans ce sens ? A vrai dire, elle serait incapable de le dire. Mais ça c'était fait, assez naturellement. Gaston et Ariel, dans leurs vidéos amateurs, et puis sans costume. Ils boivent beaucoup quand ils sortent, fument, consomment d'autres choses, attendant d'être suffisamment perchés pour allumer la caméra et continuer à diffuser leurs petits films maisons. Et puis, le phénomène prend vite de l'ampleur sur la toile et sur les sites pour adultes. Assez rapidement, on la contacte, pour lui proposer des contrats plus sérieux, sur des productions avec du budget. Mais lui, il reste sur le tapis, n'intéressant pas suffisamment les productions, malgré les essais répétés de la jeune femme de l'inclure dans cette nouvelle expérience. Il lui dit de ne pas se poser de questions, de continuer à se construire une carrière si elle a trouvé là un truc qui l'éclate. Les tournages lui plaisent. C'est nouveau, c'est grisant, ça va à l'encontre de tout ce qu'elle connait et du haut de ses vingt-trois ans, c'est tout ce qu'il lui faut. Mais ça n'est pas si simple que ça à gérer, de réussir quand votre compagnon rame toujours. Alors il finit par disparaître, un bon vieux tour à la Houdini, la laissant détruite, après deux ans de relation. L'alcool, toujours plus, les drogues récréatives ne le sont plus tant que ça, devenant le quotidien des soirées glauques où elle traîne sa carcasse.
Jusqu'à ce qu'enfin, elle reprenne sa vie en main. Pas elle directement, mais son agent. Elle a du succès dans ce qu'elle fait. Le public aime son côté "girl next door", son naturel rieur. Pas sa tête de camée alcoolique. Alors il lui dégote une place dans une production plus clean, à New York, lui forçant la main pour changer radicalement de mode de vie. New York ... une ville qui la change profondément, lui donne une nouvelle impulsion. Son travail lui plaît d'autant plus. Plus classe, moins trash, loin de ce qu'elle faisait à Miami. L'alcool, elle n'y touche plus, la drogue non plus. C'est un nouveau mode de vie qu'elle se crée à présent. Parce qu'elle veut se convaincre que son métier n'a pas à définir tout le reste de son existence. Actrice X peut-être, mais ça ne signifie pas de devoir plonger tête la première dans une spirale d'auto-destruction. En cinq ans de vie en tant que new yorkaise, dans le joli quartier de Greenwich Village, la Sugarlips trash et décomplexée de Miami a disparu, laissant place à une jeune femme plus posée et sereine. Végétarienne, elle recycle tout chez elle, ne cesse d'accumuler les plantes dans son appartement. Elle a même adopté un chat, un gros matou cassé de partout, au pelage oscillant entre le gris sale et le roux passé, qu'elle a nommé Twix, parce qu'il semble que ce soit les seuls sons qui le font un peu réagir. Une ville adoptée, une vie transformée.
Johann est plutôt connue sur la toile et dans le milieu, il faut bien l'avouer. Même si dans ce monde-là, on la connaît plus sous le nom de Sugarlips que sous son vrai prénom. Beaucoup pourraient penser qu'il n'y a pas pire comme moyen d'obtenir une certaine notoriété, pourtant Johann ne s'en plaint pas. Elle aime ce qu'elle fait, même si ce n'est pas tous les jours la joie. En dehors des tournages réguliers, la jolie rouquine aimerait pouvoir un jour avoir un rôle dans lequel elle n'est pas obligée de se mettre entièrement nue. Parce qu'elle se sent parfois l'âme d'une vraie actrice même si elle n'avait jamais songé auparavant à creuser cette possibilité, peut-être par peur d'échouer à ce jeu des castings et se trouvant à présent trop âgée pour se lancer dans l'aventure. Pourtant, son aventure dans le X ne pourra pas durer éternellement et elle songe doucement à une reconversion dans le cinéma même si les portes sont loin de s'ouvrir facilement.
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