Dakota Kiana Van Karnebeek naquit, comme son nom semble l’indiquer, aux Pays bas. Et précisément dans une ville côtière : Katwijk. Fille unique, ses parents semblant avoir atteint la perfection du premier coup n’eurent visiblement pas à l’idée de donner à la rouquine des frères et sœurs. Enfin ça c’est ce qu’elle a toujours pensé, la vérité est peut-être un peu plus dure que ça.
Pour en revenir aux Van Karnebeek, c’est une famille aisée : un père PDG d’une entreprise et une mère avocate de renom. Catholique, aussi. Dakota fut baptisée dès la naissance et se rendit tous les dimanches matin à la messe avec ses parents. Une vie qui, somme toute, ne sortait pas de l’ordinaire.
Très jeune, son père, passionné de navigation, emmena Dakota sur un bateau. La mer, la vraie avec des vagues, l’enfant y prit très rapidement goût. Si ces petites virées pouvaient inquiéter Madame Van Karnebeek, cela n’apeurait aucunement la petite fille. Plusieurs fois la mer agitée avait inondé le bateau mais jamais aucun d’eux n’était passé par-dessus bord. Du fait de cette activité, ils avaient tous les deux développé une complicité incroyable.  
Cependant, quelque chose vint perturber cette douce vie que menait la famille sur leur côte néerlandaise. Une mutation.  La mutation de Monsieur Van Karnebeek à New York city, pour diriger la filière américaine de la société. On pouvait même dire que c’était une promotion. Il n’y eut donc pas besoin de réfléchir bien longtemps pour que la famille, à l’unanimité des adultes prenne la décision de déménager là-bas. Dakota, comme toute enfant, adolescente même du haut de ses quatorze ans, n’en était absolument pas ravie. Mais elle savait qu’elle n’avait pas le choix, que ce n’était qu’une étape obligée de sa vie, qu’elle s’y ferait. C’était une nouvelle expérience. Et puis à New York, il y a la mer, pas vrai ? Ca elle ne le perdrait pas. Néanmoins, le changement de langue ne manque pas de perturber la rouquine. Certes elle a eu l’occasion de la pratiquer scolairement parlant mais bientôt c’est couramment qu’elle va devoir le parler. Elle n’apprécie guère. Mais elle fait avec. Elle n’a pas le choix, dans cette nouvelle vie elle n’a pas l’impression d’avoir le choix de grand-chose.
D’ailleurs, un autre mauvais point de cette nouvelle vie est le travail de son père, beaucoup plus prenant. Le bateau ? Il n’a plus le temps d’en faire avec sa fille, mais les moyens de l’inscrire dans un club. Un mois, c’est la durée qu’elle a tenu avant d’arrêter. Les ordres, elle n’aime pas ça. Le ton hautain des autres qui ne la voient que comme une étrangère non plus. Non ça ne sert à rien de lui hurler dessus en mangeant des syllabes avec un accent incompréhensible. Non en chinois elle ne comprendrait pas mieux, mais en néerlandais oui. Décidément, les new yorkais ne sont qu’un ramassis de gens stupides. Ces événements rapprochent la mère et la fille, bien que déjà proches, elles deviennent presque fusionnelles, compensant ensemble le manque du père et du mari.  
Dakota pensait avoir trouvé un nouvel équilibre, une autre vie presque normale, agréable. Mais il est bien connu qu’il n’y a que dans les histoires pour enfants que les choses finissent bien.
Une enfant, elle n’était encore que cela lorsque le médecin déclara que sa mère était atteinte d’un cancer. Six mois. Six mois d’agonie, de chimiothérapie, de médicaments.
17 ans. Elle n’a que 17 ans le jour où la vie semble vouloir l’achever. Dans ces moments-là on est censé voir un psychologue, resserrer les liens au sein de la famille, se serrer les coudes.  Mais non. Pour Dakota il n’était plus l’heure de faire les choses dans les règles, dans la norme qu’on lui fixait depuis sa naissance. Alors Dakota elle fout tout en l’air. Elle sort, avec des inconnues, des inconnus. Des amis d’amis. Des connaissances. Elle s’en fout Dakota, elle veut juste se perdre un peu plus qu’elle ne l’est déjà, faire ce que Dieu ne semble pas enclin à finir : se donner le coup de grâce. Elle n’allait pas se passer une corde autour du cou, ni ingurgiter une quantité astronomique de médicaments. Non, elle allait faire tout ce que font les jeunes normaux. Tout ce que fait la communauté des jeunes de New York : fumer, boire et se droguer. Les limites ? Elles ont disparus le jour où le corps de sa mère a été enseveli. Le lycée, elle y va quand elle y pense, la plupart du temps pour rester avec cet entourage de pseudo-amis qu’elle s’est fait. Ou encore juste pour le plaisir de coucher dans les toilettes.  Des conneries, elle semble en avoir fait une liste longue comme le bras et avoir comme objectif de les accomplir avant… on ne sait trop quoi. Et son père ? Il ne dit rien. Certainement parce qu’il sait qu’il n’a pas son mot à dire. De toute façon, ça n’a aucune importance. Il n’est jamais là, il travaille plus qu’avant encore. Dakota n’est même pas sûre qu’il sache ce qu’elle fait dehors, qu’elle ne va pas en cours et le reste.
Et puis le déclic. Un test qui lui fait l’effet d’un électrochoc. Elle est enceinte. Enceinte. Elle en est à la limite de se demander ce que ça signifie. Elle ne comprend pas comment c’est possible. Bien sûr qu’elle n’est pas vierge. Bien sûr qu’elle oublie sa pilule entre les verres de vodka et les joints. Mais comment la vie pouvait se développer au sein d’une fille comme elle ? Comment pouvait-elle donner la vie alors qu’à l’intérieur elle était morte ?  Le père ? Oui elle le connait, elle sait qui c’est. Depuis quelques semaines elle fréquente un homme, plus âgé oui, mais quelle importance ? Elle devrait lui dire, elle aurait dû lui dire avant cet accident qui le plonge dans le coma. Mais l’avis qu’il aurait pu donner lui importe peu en fin de compte. Ce problème ne lui effleure même pas l’esprit alors qu’elle doit prendre sa décision : être mère ou avorter. Être mère, cela implique d’arrêter de fumer, de boire, elle doit se mettre à vivre correctement. Ou plutôt se remettre à vivre comme les autres jeunes de sa classe sociale. Non, c’est faux. Les autres, les enfants des collègues de son père, ils ne sont pas parents. Mais elle le sera. Cette décision, il ne lui a pas fallu plus d’une heure pour la prendre. A ce moment-là elle n’avait pas seulement décidé d’être mère, mais aussi de reprendre sa vie en main, de revivre enfin, de ne plus seulement se laisser tomber au fond d’un gouffre. 21 ans, c’est l’âge qu’elle a quand elle reprend ses études. 21 ans, c’est l’âge qu’elle a quand son père la fout à la porte des Van Karnebeek, qu’il la renie tout simplement. Qu’elle couche avant son mariage, passe encore. La société moderne, le reste. Mais qu’elle décide de garder un enfant dont elle ne veut même pas l’identité du père et qu’il ne serait là ni pour l’épouser ni pour l’aider à l’éduquer, il n’en ait pas question. Il semblait penser avoir un droit de décision sur la vie de sa fille, mais il ne l’a pas. Il l’a abandonné bien trop longtemps pour pouvoir prendre part à sa vie aujourd’hui. Elle lui a tendu la main, et au lieu de la prendre il lui a claqué la porte au nez. Être mère célibataire une honte ? Elle en ferait une fierté.  Si son père pensait la faire céder ainsi, il venait purement et simplement d’être rayé de sa vie. Elle se débrouillerait, elle trouverait où dormir, où manger, où vivre. Loin de lui. Loin de ce quartier riche qu’elle exécrait. Loin de ces écoles privées remplies de ces gamins qui lui donnaient la nausée.
Finalement, durant ses années de connerie, elle s’est fait certains amis. Certains vrais amis. Elle trouve refuge chez eux et reprend ses études pour devenir infirmière. Aux premiers jours de sa 22ème année, la rouquine accouche, d’un adorable garçon qu’elle prénom Logan. Logan Van Karnebeek.  Elle a du mal à joindre les deux bouts, certes, mais elle apprend à devenir débrouillarde. Elle apprend à devenir économe, pour elle qui a toujours tout eu ce n’est pas évident, mais encore une fois : elle n’a pas le choix. Revenir pleurnicher aux pieds de son père ? Jamais. La fierté la force peut-être à être déraisonnable mais elle connait assez le PDG néerlandais pour savoir qu’il ne revient jamais sur une décision. Elle ferait sans lui, sans père, sans parents, orpheline de famille, riche d’amis. Comme quoi, il avait encore des gens à sauver parmi les New Yorkais si haïs.
Elle est devenue infirmière la rouquine et l’ironie de la vie a voulu que ce soit elle qui s’occupe de l’homme dans le coma, du père de son fils. Elle lui parle, quand elle est seule avec  lui. Elle lui parle de son fils, elle lui dit que c’est le sien. Mais un jour il se réveille, et ce jour-là elle n’est pas à ses côtés, et elle ne le sera plus jamais d’ailleurs. Elle a peur, une peur indescriptible, déraisonnée, incontrôlable. Alors elle choisit de l’éviter et de ne jamais rien lui dire. C’est son fils, à elle, pas à lui. C’est sa vie, à elle et à personne d’autres, ses problèmes et ses décisions.
Récemment, elle a abandonné son studio miteux et mal situé pour emménager chez une de ses plus adorables amies avec son fils  : Georgia.