Talk to me
Aby & Peyton

Les secondes, elle avait l’art de passer lentement, donnent cette impression que le monde tournait aux ralentis. On regardait toujours par la fenêtre attendant que quelque chose puisse troubler ce calme qui devenait de plus en plus pesant. Pour moi, j’avais ce souhait qu’on me sorte de mes pensées qui étaient retournées dans les déserts d’Irak, cet endroit où je pouvais encore entendre les bruits des mitrailleuses, les cris de douleur de compagnons d’armées. Je pouvais sentir le sable dans ma bouche, la peur dans les regards des autres se demande dans quoi ils s’étaient fourrés. Je pouvais voir des images furtives que malgré cette peur, ils prenaient leur courage à deux mains et se lançaient dans cette guerre.

Mon esprit était se souvenait des moindres détails, des moindres bruits, et sans même m’en apercevoir, j’étais en train de chipoter à mes plaques d’identification. Je ne savais pas pourquoi je les gardais, après tout, j’avais quitté l’armée, elle ne me servait plus à rien. Mais j’avais cette impression de me perdre si je les retirai, que je ne puisse plus savoir qui j’étais ou encore ce que j’avais vécu là. Je ne voulais pas oublier ces années passées là-bas, je ne voulais pas oublier la peine que j’avais ressentie, je voulais juste vivre avec sans pour autant me réveiller en plein nuit près à assommer ou tuer quelqu’un. Et j’avais cette étrange impression d’être entre deux mondes bien distincts et que je ne savais nullement auquel j’appartenais.« Tu n’as jamais eu l’impression de ne pas appartenir à cette réalité ? » J’avais enfin commencé à parler après plus de 20 minutes de silence à observer cette fenêtre qui se trouvait dans le bureau d’Aby. « Cette sensation d’être dans deux réalités, mais de ne pas avoir ta place dans aucune des deux. » Pourtant, ces deux mondes existaient bien et j’avais vécu pendant un temps dans l’un et maintenant, j’étais dans une autre beaucoup plus calme, une qui pourrait surement me permettre de vivre sans avoir peur chaque nuit. « En fait, ce n’est pas vraiment que je n’appartiens pas à ces réalités… Juste que je ne sais pas comme vivre dans celle où je suis maintenant. »

Je laissais à nouveau le silence s’installer, continuant à regarder par la fenêtre, comme si j’allais y trouver ma réponse. Puis je détournais mon regard, pour enfin regarder Aby. C’est ma sœur qui m’avait donné son numéro, ma sœur qui m’avait invité à prendre rendez-vous avec la jeune femme pour qu’elle m’aide à surmonter tout ce que j’avais vécu en Irak . « C’est comme si je ne connaissais plus ce monde où ne dort pas avec un M-4. » Pour moi reprendre la vie normale, c’était une grande rééducation, et cela s’avérait plus difficile qu’on ne le pensait. Je continuais à chipoter aux plaques d’identification.« Pourtant, je sais que je n’ai pas besoin de dormir avec ce fusil, que ce n’est pas le même endroit, que je ne vais pas entendre les cris des douleurs d’une personne parce qu’une balle vient de s’être logé dans quelques parts dans son corps et que je ne verrai pas un corps étendu devant moi, le regard vide et sans expression. » Je détournais encore mon regard, regardant à nouveau la fenêtre. « Mais à chaque fois que je ferme les yeux, ou que j’essaye de ne penser à rien… Toutes ces images me reviennent en tête. Tout ce stress, cette peur à chaque instant cela pourrait être le dernier, reviennent subitement. » Et je ne savais comment me débarrasser de tout ceci, car cela m’empêchait de vivre ma vie désormais.

© ACIDBRAIN