“Aron & Amanda”

Installée au comptoir de son bar habituel, Amanda savourait tranquillement son bloody Mary. Elle n’avait rien de prévu ce soir. Elle allait probablement passer à son club de striptease rapidement durant la soirée, mais elle ne travaillait pas. Peut-être qu’elle allait se trouver un homme à se mettre sous la dent, pourquoi pas. Elle avait une vie libre et insouciante, Amanda. Elle n’avait, hormis le club, aucune responsabilité. Aucune attache. Aucun compte à rendre à personne. Et elle avait encore de belles années devant elle pour avoir quelqu’un dans son lit, ou ailleurs, quand l’envie lui en prenait. Oh, elle ne se sentait pas seule. Elle était au-dessus de ça depuis longtemps. Elle n’avait jamais eu besoin de la compagnie de qui que ce soit, Amanda. Bien que, paradoxalement, elle avait le don pour attirer l’attention des gens. Elle suscitait l’intérêt, parce qu’elle était différente, aérienne, comme si elle venait d’une autre époque, d’un autre monde. Mais de savoir si elle était un ange déchu ou au contraire un démon venu corrompre les autres, c’était encore là une question difficile à cerner. Elle, elle ne s’en préoccupait guère. Lointaine, elle sirotait son cocktail sans tenir compte des autres clients, du barman et de tout le reste. Mais, au bout d’un moment, son regard fut attiré par un homme qui venait de s’installer non loin d’elle. Pourquoi lui, elle n’en savait rien. Peut-être était-ce ce visage tourmenté. Une fascination morbide pour les êtres torturés, sans doute. Faisant signe au barman, elle lui demanda de lui servir un whisky. Il en avait surement plus besoin que de la ridicule bière qu’il avait commandée. A croire que c’était la première fois qu’il cherchait à noyer son malheur dans l’alcool, ce jeune homme. Elle aurait presque souri, attendrie, si son cœur n'était pas tant obscurci. Il fallait dire que l’autodestruction, c’était quelque chose qu’elle ne connaissait que trop bien quant à elle. En croisant le regard océan de l’inconnu, elle tendit son propre verre vers lui, un sourire entendu sur les lèvres. Envieuse de savoir la réaction qu’il allait avoir, lui qui semblait tant détonner dans ce bar aux trop nombreux habitués.

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La dispute avec Isa avait été un sacré choc pour moi comme pour elle. Maintenant j'en suis sûr, j'ai changé. Je ne suis plus le même et ça me fait vraiment peur. Même avec Isa... Je crois que ça ne sera jamais plus comme avant. On ne s'était jamais disputé. On s'était toujours tellement bien entendu, on était en osmose. Mais aujourd'hui on dirait que tout va de travers. Je ne supporte plus ses petites attentions. Je ne sais pas ce qu'il m'arrive... Et j'ai fuit. J'ai couru, je suis parti. Je suis allé dans un bar. Ca ne m'était encore jamais arrivé. J'avais comme une envie d'autodestruction. Comme si je voulais me punir, comme si je ne voulais plus exister... Je suis sorti, et mes pas m'ont conduit au Bronx. Qu'est ce que je fous ici? Je n'y mets jamais les pieds, ce n'est pas du tout le genre d'endroit où je vais... Et pourtant je continue de marcher, et je m'arrête dans ce bar. Je me sens tellement mal dans ma peau. J'ai envie de frapper contre un mur et de voir le sang couler de mon poing... Jamais je n'ai eu des idées aussi sordides. Jamais je n'ai frappé quoi que ce soit, ni même qui que ce soit. Je suis même incapable de me battre.

Je m'assois au bar et commande une bière. Je suis si mal... J'enfouis ma tête dans mes mains, attrapant mes cheveux. Puis le barman me sert, ce qui me fait me redresser un instant. C'est là qu'une femme s'approche de moi. Je ne comprends pas ce qu'elle veut. Elle me tend un verre rempli d'un alcool fort. Je crois qu'elle me comprend. Je crois qu'elle sait que j'ai envie de me détruire, d'oublier tout. Je la regarde un instant de mon regard aux allures innocentes. Puis je prends le verre et en avale une immense gorgée sans réfléchir. Puis je repose le verre et me mets à tousser. Je n'ai vraiment pas l'habitude de boire autre chose que des bières... Je deviens rouge, le temps que ça passe. Ma quinte de toux passe doucement. C'est... vraiment pas bon. Mais j'aime la chaleur qui me brûle la gorge. J'ai envie de disparaitre.

“Aron & Amanda”

Il semblait complètement différent de toutes les autres personnes dans le bar. C’était la première impression qu’elle avait de lui. Elle ne savait rien de lui. Et, à vrai dire, elle ne voulait rien savoir. Elle n’était pas une épaule compatissante sur laquelle se reposer. Elle n’était pas quelqu’un d’altruiste qui cherchait à réconforter toutes les personnes qu’elle croisait, ni du genre à se préoccuper de son prochain. Elle était même tout le contraire, Amanda. Elle, ce qu’elle faisait, ça n’avait rien de généreux. Elle venait de trouver… Une distraction. Elle avait vu la détresse du jeune homme, et ça l’avait attirée. Elle se complaisait dans la souffrance. Elle était particulière, il fallait l’avouer. Ce n’étant pas tant par sadisme, si ce n’était pour elle-même. C’était ce besoin irrémédiable d’autodestruction. Inconsciemment ou non, c’était ce qu’elle cherchait. C’était peut-être sa manière à elle de chercher à être comprise, par quelqu’un qui savait ce que c’était de vouloir se faire du mal, encore et encore. Mais elle préférait se dire qu’elle agissait ainsi parce qu’il était plus plaisant d’entraîner les autres dans sa noirceur. C’était plus sexy. Le contemplant du coin de l’œil, toujours installée non loin de lui, elle laissa un sourire en coin apparaître sur son visage en le voyant tousser après avoir bu une bonne partie de son verre. Il n’avait vraiment pas l’air d’avoir l’habitude. Elle aurait pu culpabiliser, mais non. C’était si naturel pour elle, l’alcool comme réaction, que non, elle ne pouvait pas ne serait-ce que songer à s’en vouloir. Elle savait bien que c’était ce dont il avait besoin. – Toute une éducation à refaire. déclara-t-elle d’un ton sérieux qui pouvait donner l’impression qu’elle plaisantait, mais non. Saisissant dans son sac à main son paquet de cigarettes, elle en sortit une qu’elle alluma sans plus de cérémonie. Elle savait pertinemment qu’il était interdit de fumer dans les lieux publics mais elle avait le barman dans la poche. De toute manière, elle ne faisait que trop ce qu’elle voulait. Tirant une première taffe, avec une élégance étonnante, elle reprit alors en direction de l’inconnu. – On appelle ça un whisky. Bon, là, elle se fichait peut-être bien de lui. C’était difficile à dire, parce qu’elle n’avait pas l’ombre d’un sourire sur le visage. Mais, pour le coup, c’était presque gentillet de sa part.

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L'alcool fort, c'est vraiment pas fait pour moi. Mais ce soir tout était différent. Ce soir je ressentais le besoin de me faire du mal, de me détruire... Alors qu'elle me dit que ça s'appelle un Whisky, je me doute qu'elle se moque de moi. Je sais quand même ce que c'est. Mais je ne réagis pas à sa plaisanterie. Je dis juste

- J'en veux d'autre.

La douleur me dévorait l'estomac si bien que ça en devenait difficile de parler. Je sentais une boule se former dans ma gorge, et une fois de plus les larmes montaient à mes yeux, ne faisait que les rougir d'avantage. La jeune femme fume, et la fumée de sa cigarette commence vraiment à me piquer les yeux. J'ai aussi du mal à supporter l'odeur. Mais je ne dis rien. Je veux jute disparaitre. Je veux juste m'oublier. Je ne me supporte plus...

J'ai l'air ailleurs, complètement perdu. Soudain je croise les bras sur le bar et enfouis mon visage dedans. Comme si je pouvais m'enterrer un peu plus et ne plus exister. Comment j'ai pu tant changer? Comment je peux ressentir toutes ces sensations nouvelles? Comment je peux penser à des choses, comme la mort, alors que ça ne m'avait jamais traversé l'esprit avant? Je lève la tête alors que le barman pose un verre de whisky devant moi. Je regarde ma nouvelle amie.

- Vous croyez qu'on peut s'endormir en étant quelqu'un, et se réveiller en étant quelqu'un d'autre?

Je prends mon nouveau verre et bois plusieurs gorgées à la suite en fermant les yeux, fronçant les sourcils. J'avale tout gorgée par gorgée, et termine mon verre. L'alcool me brûle douloureusement la gorge. Je me retiens de tousser. Je grimace de douleur, autant physique qu'intérieure.

“Aron & Amanda”

Fumant distraitement sa cigarette, Amanda regardait sans s’en cacher son nouveau compagnon de jeu. Il apprenait vite, le petit. Il buvait un verre, puis un deuxième alors qu’il semblait à deux doigts de craquer. Bon dieu, elle espérait quand même qu’il évite la séance larmoyante. Les pleurnicheries, très peu pour elle. En fait, elle ne savait pas encore exactement dans quelle catégorie le glisser, ceux qui déprimaient par un mauvais jour ou ceux qui avaient vraiment envie d’en finir avec la vie qui était la leur. Visiblement, ce n’était pas simplement dû à une petite-amie trop volage ou à un patron trop tyrannique. Mais son intuition lui disait qu’il y avait quelque chose de bien plus profond. Elle savait repérer les torturés, Amanda. La force de l’habitude, sans doute. La plupart des clients de son club n’étaient là que pour chercher un moyen de se distraire quelques minutes et oublier leurs vies pathétiques. Mais à ses paroles, la réponse vint d’elle-même. Laissant échapper la fumée de ses lèvres sans s’inquiéter d’intoxiquer son voisin au passage, la belle brune leva les yeux vers lui. – Affirmatif. rétorqua-t-elle avec assurance avant de terminer son cocktail. Mais c’était le genre de conversation qui se buvait avec quelque chose de bien plus fort. Alors elle fit signe au barman. – Deux autres. commanda-t-elle avant de porter à nouveau son attention sur l’inconnu avec qui elle semblait décidée à passer ce début de soirée. – Et à partir du moment où on a l’impression d’avoir changé, c’est déjà trop tard. Plus que pessimiste, son avis. Mais c’était réellement ce qu’elle pensait. Elle n’avait pas toujours été cette femme froide, sarcastique et insensible. Il ne fallait pas se mentir, elle n’avait jamais été un ange. Mais c’était la vie qui l’avait rendue si sombre. Elle avait perdu la seule chose qui comptait réellement pour elle, alors après ça… Rien ne trouvait grâce à ses yeux, inévitablement.

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La fumée de sa cigarette rougit encore plus mes yeux et ça me pique. Mais j'ai presque envie que ce soit pire. J'ai cette envie de me sentir mal, d'avoir mal physiquement, comme pour oublier le mal interne.

Ses paroles me font peur.

- Non je... J'ai jamais été comme ça... Je comprends pas...

Mon regard exprime ma peur et j'ai l'air totalement paumé. Alors que le barman ramène deux nouveaux verres, je ne cherche même pas à savoir si l'un d'entre eux est pour moi. Je me contente d'en prendre un et de boire de longues gorgées. Je tousse un peu. J'ai même un peu la nausée. Je ravale mes larmes. Je n'ai pas le droit de pleurer. Je mérite ce qui m'arrive. J'ai détruit Isa ce soir. Je revois ces images dans ma tête, et la douleur est de plus en plus forte. Qu'est ce qui m'arrive? J'ai l'impression de devenir... Un monstre.

- Comment tu sais? Tu as changé aussi?

Je grimace de douleur autant physique que moral. J'aimerais que l'alcool m'achève. J'aimerais ne plus penser, mettre mon cerveau en off.

- J'ai été... tellement horrible.

Je baisse mon regard dans mon verre. Je ferme un instant les yeux comme pour supporter la douleur.

“Aron & Amanda”

Elle n’avait rien de rassurant, Amanda. Cet homme dont elle ne connaissait même pas le nom, il avait peut-être besoin d’être réconforté, d’être épaulé, ou simplement d’être écouté. Mais le pauvre se retrouvait avec le pire soutien qui soit. Elle ne savait pas consoler les gens, encore moins être présente pour eux. Ça signifierait qu’elle avait quelque part en elle une part de bonté. Peut-être, au fond. Mais pas pour un inconnu. Encore moins pour un qui s’apitoyait sur son sort. Pourtant… Pourtant, elle, elle était là malgré tout. A sa manière. Saisissant l’un des deux verres de whisky apporté par le barman, non sans un regard réprobateur en sa direction, elle l’ignora pour tourner la tête vers son nouvel ami. Il avait l’air aussi paumé qu’un puceau de quatorze ans qui venait de se faire larguer par sa première copine. Il avait les mêmes réactions face à l’alcool, aussi. Mais, à sa question, elle sortit subitement de ses pensées. Le visage impassible, elle baissa les yeux vers son verre dont elle faisait distraitement tournoyer le contenu tout en lui répondant d’une manière plutôt évasive. – On peut dire ça. Elle n’aimait pas parler de son passé, Amanda. Mais il fallait avouer qu’elle n’oubliait pas celle qu’elle avait été, celle qu’elle n’était malheureusement plus. Du paradis, elle était tombée jusqu’en enfer, un enfer dont elle semblait être devenue la reine désormais. Approchant finalement son verre de ses lèvres, elle laissa le liquide brûlant venir agréablement piquer sa gorge avant de reprendre. – On nait tous avec une part plus ou moins importante de noirceur, c’est le propre de l’Homme. Et parfois un événement la déclenche sans qu’on ne puisse y faire quoi que ce soit. Tu n’es pas horrible, tu es humain. On n’aurait su dire si elle se montrait fataliste, ou au contraire complètement détachée face à ce constat. La vérité, c’était qu’elle avait appris à accepter depuis longtemps qu’elle n’était pas quelqu’un de bien. Lui, cet inconnu, il semblait avoir découvert sa partie sombre bien plus récemment. Même si elle ignorait s’il l’était autant qu’il le disait. Il fallait dire qu’il n’avait pas l’air bien méchant, mais elle ne le connaissait pas, pas encore. 

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Je continue de boire, d'inhaler l'horrible fumée sortant de la cigarette de la femme. Plus je l'écoute parler plus je me dégoute, et plus j'ai envie de vomir. Mais je continue de boire, de ravaler mon dégoût et mes larmes. Je ne me supporte plus, pas après ce que j'ai fait à Isa, après avoir été méchant, et violent. Je veux pas être comme ça. Je veux pas! Alors pourquoi je le suis??

Je veux m'oublier, le plus possible, alors j'essaye de me concentrer sur cette femme, de penser à elle, à son histoire, plutôt qu'à la mienne.

- Tu as changé comment? Comment tu étais avant?

Elle n'a pourtant pas l'air méchant, elle me donne des verres, des conseils. Elle a l'air assez froid c'est vrai mais... ce n'est pas méchant, d'être froid. Peut-être qu'elle a juste peur qu'on s'intéresse à elle et que quelqu'un l'apprécie. Peut-être que son changement, c'est de se montrer fermée face au autres.

Penser à cette femme m'apaise doucement. Je me concentre sur elle à fond, m'oubliant moi-même. J'ai envie d'apprendre à la connaitre. J'aimerais connaitre son histoire.

“Aron & Amanda”

Elle était en train de lui faire du mal, cet inconnu. Enfin, pas elle directement, mais la vérité à laquelle elle croyait, celle qu’elle lui exposait sans aucun tact. Elle était pessimiste, sombre, presque même lugubre. Et pourtant, il continuait de lui parler. C’était bien là la preuve qu’il allait mal. Ou qu’il testait une technique de drague plutôt spéciale. Mais il n’avait pas l’air de ce genre-là. Non, il semblait plutôt complètement déboussolé, en fait. Seulement sa question, elle l’étonna. Amanda n’était pas le genre de femme à laquelle on se risquait à s’intéresser. Souvent, elle faisait peur, ou au moins, elle impressionnait ses interlocuteurs. Pas forcément dans le bon sens d’ailleurs, mais on la laissait tranquille en tout cas. Mais cet inconnu, il était tout à fait différent. Peut-être qu’il n’avait pas conscience qu’il n’était pas avec une personne très fréquentable, peut-être qu’il n’avait pas conscience qu’en une nuit, elle pouvait l’entraîner dans les pires vices qui soient si elle le voulait. Mais, sur ce coup, il avait le mérite de la surprendre, parce qu’elle ne sut pas tout de suite quoi lui répondre. Le visage impassible, elle écrasa finalement sa cigarette à l’intérieur de son verre vide avant de relever les yeux vers son interlocuteur. – Avant, j’étais quelqu’un qu’on pouvait aimer. déclara-t-elle simplement avant de boire quelques gorgées de son whisky. Et c’était vrai. Elle avait été choyée par ses parents, adorée par ses amis, vénérée par le monde entier. Elle n’était pas forcément la personne la plus attachante qui soit, pourtant. Mais elle avait quelque chose d’attrayant, et ça, elle en avait toujours eu conscience. Maintenant… Maintenant, elle attirait, mais pour d’autres raisons. Et, au final, plus personne ne l’aimait. C’était peut-être le juste retour des choses pour une femme qui avait pris toute sa vie sans jamais vraiment donner elle-même. Mais comment pouvait-elle expliquer tout ça à un parfait inconnu ? En avait-elle seulement envie ? Elle ne parlait pas de son passé. Jamais. Et ce n’était pas si facilement qu’elle serait capable de le faire. – Il me faudra plus de deux verres pour te raconter ma vie mon chou. reprit-elle avec un sourire en coin sur le visage, finissant justement son verre quelques instants plus tard.

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- Avant, j’étais quelqu’un qu’on pouvait aimer.

J'écoute la femme avec attention. Je commençais à réellement avoir envie de la connaitre. Elle me rendait curieux, et penser à elle m'aidait à m'oublier un peu, même si je me sentais toujours aussi mal. Ce qu'elle dit... Je me reconnais dans ses paroles. Je baisse un instant les yeux. Isabella ne pourra plus jamais m'aimer après ce que j'ai fait. Plus personne ne pourra jamais m'aimer. Même pas Vince...

Je relève mon regard enfantin vers elle, attendant la suite de son histoire, mais elle me confie alors qu'il lui faudrait plus de deux verres pour parler d'avantage. J'affiche un léger sourire et lui tend mon verre. J'en commande d'autre. Je ne veux pas m'arrêter ici, moi non plus. Je veux toujours autant me détruire, et m'oublier... Même si je commence à apprécier la compagnie de cette femme. On se ressemble. J'ai envie de comprendre ce qu'il lui est arrivé.

Je ne dis pas un mot. Mon geste signifiait bien que je voulais en savoir plus, alors j'attendais patiemment qu'elle soit prête à parler. Pour ma part, je bus plusieurs gorgées de mon verre, grimaçant à nouveau. Plus ça allait plus je devenais légèrement rouge, comme si j'étais sur le point de m'étouffer. C'est que je me retenais de tousser...

“Aron & Amanda”

Elle semblait bien l’intéresser, cet inconnu. Elle ne savait pas si c’était parce qu’elle se montrait énigmatique ou simplement parce qu’il avait besoin de penser à autre qu’à sa vie. En tout cas, elle le voyait bien. Et pourtant, s’il la connaissait réellement, il se rendrait vite compte qu’elle n’allait rien lui apporter de bon, rien lui apporter tout court. Ils n’avaient rien en commun. Voilà ce qu’elle se disait, Amanda. Elle ne se doutait pas que, de son côté, son interlocuteur avait un tout autre avis sur la question. Mais s’il lui donnait une chance, elle pouvait bien essayer de lui en donner une aussi. Au moins pour passer le temps. Parce qu’il apprenait vite, le petit. Il venait de lui tendre son verre et d’en commander un autre, ce qui l’amusa assez bien qu’elle se contenta de boire quelques gorgées de son whisky sans réagir outre mesure. Et ce fut ainsi qu’elle but, encore et encore, enchainant les verres durant un petit moment. Elle ne cherchait pas vraiment à se saouler. Boire la détendait, mais son corps s’était habitué depuis trop longtemps à ce doux poison pour qu’elle puisse en ressentir les effets aussi facilement que son compagnon de comptoir. En fait, elle attendit surtout de les voir chez lui, comme si, inconsciemment, ça la rassurait de se dire qu’il l’oublierait sans doute dès le lendemain. – J’étais danseuse étoile. lâcha-t-elle tout à coup après un long silence. Elle avait dit ça d’un ton plat, comme si elle évoquait quelque chose d’insignifiant alors qu’elle parlait du rêve de sa vie, un rêve gâché. Et c’était la première fois qu’elle le faisait, d’elle-même, sans qu’on ne l’incite à le faire, par intérêt ou par inquiétude, qu’importe. – C’était toute ma vie. Je ne vivais que pour ça. J’étais la star de ce monde. Les projecteurs, la salle bondée, les applaudissements, je ne vivais que pour ça. répéta-t-elle une nouvelle fois sans s’en rendre compte. Elle sentait cette boule dans la gorge, malgré elle. Elle tentait d’avoir l’air impassible, comme elle l’était toujours, mais c’était un peu plus compliqué cette fois. Finissant son verre d’un trait, elle reprit d’une voix détachée. – Mais un jour, le rêve s’est brisé. Et maintenant je voudrais juste pouvoir danser, sans toutes ces conneries, juste retrouver la danse… Mais c’est terminé. conclut-elle d’une voix fataliste, le regard plus qu’assombri.  

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Je continue de boire, tout en l'écoutant. L'alcool commence à pénétrer mes veines et j'ai un début de tournis. Comme si le bar tournait autour de moi. Je ne me sens pas bien mais j'arrive toujours à écouter la femme, qui commence à se confier. J'écoute son histoire, et j'ai de la peine pour elle. Ca me rend triste. Mais alors, j'affiche un léger sourire et lui dis

- Un jour on ira danser.

Est ce que je suis conscient de mes paroles? Oui, même si elles sont un peu déformées par l'alcool. Cette femme me touche et j'ai vraiment envie de faire quelque chose pour elle. Sauf que là... Je suis clairement pas en état. Je grimace, je me sens pas bien. Alors je prends mon verre et le vide cul sec comme si ça allait arranger les choses. Mais... C'est encore pire. J'ai presque envie de vomir. Mais ça passe doucement. Je me sens tellement mal... Je ne sais pas pourquoi mais... Je pense à Avery. Comme si j'avais besoin de la revoir. Mais je l'ai repoussé la dernière fois, et... J'ai été deux mois dans le comas. Elle a du... Juste m'oublier...

Je demande un nouveau verre au barman et me tiens un instant au bar, comme si j'avais peur de tomber de mon tabouret. C'est fou ce que ça tangue par ici...

“Aron & Amanda”

Elle ne savait même pas comment elle avait pu se dévoiler de cette façon à un parfait inconnu. C’était peut-être parce que, justement, il était un inconnu. Elle se disait qu’ils ne se reverraient sans doute jamais. C’était peut-être aussi dû à cette naïveté apparente, cette façon qu’il avait d’être si naturel avec elle, alors même qu’il était au plus bas. Ou peut-être que ça faisait bien trop longtemps qu’elle n’avait pas vraiment parlé à quelqu’un. Sans jouer, sans faire semblant, non, pour de vrai. Malgré tout, elle n’y était pas habituée. Alors lorsqu’il lui affirma qu’ils iraient danser un jour, Amanda laissa échapper un léger rire, un rire un peu triste. Elle n’était pas prête à se remettre à danser. Mais elle garda le silence, surement parce que la danse était le seul sujet où elle ne savait pas faire semblant. Elle ne pouvait pas paraître détachée, ni même lancer une réplique cinglante comme elle en avait l’habitude, pas avec la danse. Elle garda donc le silence, finissant son énième verre. Le laissant, lui aussi, finir le sien. Elle tourna les yeux vers lui, remarquant sans mal qu’il n’était pas réellement dans son assiette. Alors qu’il commandait un nouveau verre, elle se décida finalement à le questionner à son tour. – Pourquoi es-tu là ce soir ? Sa question était large, mais sa réponse dirait certainement l’essentiel, s’il jouait le jeu et lui parlait à son tour. – J’ai parlé. A ton tour. constata-t-elle avec simplicité, quelque peu désireuse d’en savoir un peu plus. Pourtant, elle n’était pas vraiment du genre à s’intéresser aux autres, pas du tout même. Mais allez savoir, il savait être plus supportable que la plupart des gens.  

© Starseed