Ce fauteuil m'insuporte. Je commence tout juste à réussir à le manier. A peu près en tout cas. Mais jamais je m'y ferai. J'ai qu'une envie: me lever! Je suis totalement dépendant de Nirvana. Je peux rien faire tout seul, et ça me rend dingue, ça me dévore. C'est d'ailleurs Nirvana qui m'a convaincu de venir aujourd'hui. Ces séances de psy sont obligatoires mais ça m'aurait pas empêcher de pas y'aller, tel un gosse séchant l'école. Mais que voulez-vous... Je peux rien refuser à la frimousse d'ange de ma poupée...

J'ai tenu à venir seul, et j'ai galéré pour arriver jusqu'à l'hopital. Mais j'y suis. Et presque à l'heure, à cinq minutes près. Je frappe donc à la porte et attends sagement qu'on m'ouvre. Une jeune femme ouvre la porte. Elle semble aussi jeune que ma fille.

J'entre alors qu'elle my invite, m'installant "confortablement" dans mon fauteuil roulant près de la petite table. Heureusement qu'elle est a hauteur de fauteuil, j'ai moins l'impression d'être un nain.

La demoiselle me demande alors comment je me sens. Je suis vraiment pas fait pour voir un psy. Je déteste parler de moi et encore plus en ce moment vu mon état... J'me supporte pas. Je prends alors un sourire et un ton ironique comme je sais si bien le faire. l'humour a toujours été mon arme et a toujours eu le don d'exaspérer mon entourage.

Au top! J'me sens prêt à courir un marathon! Et vous, ça roule?

J'affiche un sourire joueur à la réaction de la psy. Ok, j'aime sa façon d'entrer dans mon jeu. J'me doute que c'est pour mieux me manipuler pour que je parle, mais ok, elle parle simplement, elle joue, ça me va. J'préfère largement ça que me faire sermonner par un foutu médecin, ou ces infirmières qui m'empêchent de bouger un p'tit doigt. Heureusement que je suis vite rentré chez moi, et que j'ai mon infirmière perso, ma poupée, ma Nirvana.

J'dirai pas non à un café.

Après tout pourquoi pas. Alors elle reprend la parole, pour me demander ce que j'ai fait ce matin. J'veux bien essayer de faire un p'tit effort, pour Nirvana au moins. Elle a tellement insisté pour que je vienne ici... Mais j'suis pas trop du genre à parler de moi alors, je serai bref. J'ai fait quoi déjà c'matin? Je me suis engueulé avec Olivia parc'que mon chien foutait soit disant des poils partout. Oui je vis chez Olivia en ce moment, et c'est pas toujours facile, mais ça a ses bons côtés. Elles ont insisté pour que je vienne, pour qu'elles puissent être avec moi. Mais franchement, je suis encore plus insupportable à vivre depuis que j'suis dans ce fauteuil.

J'ai sorti mon chien, même si c'est moins sympa en roulant qu'en faisant son jogging. Et j'suis venu ici.

Je marque une pause, puis je peux pas m'empêcher de rétorquer, comme si nous étions dans une conversation lambda

Et vous?

Donc la demoiselle était encore semi étudiante. Ca m'étonne pas elle est encore jeune. Sans jugement hein. Je l'écoutais avec attention en récupérant ma tasse et en y plongeant un sucre. Alors qu'elle me demande si je vis seul avec mon chien, je me contente de répondre

Oui.

Quoi? Je mens pas. Je ne vis pas chez Olivia, c'est temporaire. Je touille un instant mon café avant de m'y brûler les lèvres et la gorge, quand la psy décide d'être directe. Reposant ma tasse, j'affiche un sourire amusé à ses propos, et décide de répondre de façon ironique.

C'est pas que vous n'êtes pas sympathique hein mais, les psy c'est pas mon truc. J'aime pas parler de moi, et surtout j'en n'ai pas besoin. J'vais très bien.

Je marque une pose, levant mes yeux vers elle, plus sincère cette fois.

Je suis venu parce que ça rassurait ma fille.

Bon, voilà, tout est dit. J'ai vraiment pas besoin de ces séances. J'me sens très bien et j'veux juste qu'on me foute enfin la paix. Tout ce que je veux c'est rassurer Nirvana. Et peut-être un peu Olivia, sans vraiment me l'avouer... Mais moi, j'ai pas besoin de voir un psy. J'suis même pas traumatisé par cet accident. J'ai l'habitude d'en voir de toutes les couleurs depuis mon enfance. Tout ce qui me fait chier actuellement c'est d'être cloué à ce fauteuil, et d'être incapable de me débrouiller seul ne serait-ce que pour prendre une foutue douche. Mais c'est temporaire. Je remarcherai. Nirvana, et les médecins me l'ont dit. Alors j'ai juste à prendre mon mal en patience... Sauf que la patience et moi, on n'est pas vraiment amis.

Je l'écoute essayer de me convaincre que voir un psy ça veut pas dire avoir une case en moins. Mais j'ai jamais dit ça moi.

Bah, que vous soyez un psy je m'en tape un peu en fait. Mais parler de moi, c'est pas un truc qui me plait alors, que vous soyez mon psy ou ma voisine, ça changera pas vraiment ça.

Elle veut que je parle de Nirvana... Bon c'est déjà mieux que parler de moi... Mais c'est... C'est personnel, c'que je ressens. C'est étrange aussi. C'est une situation peu commune. Une situation de merde faut le dire. J'aurais tellement voulu voir ma fille grandir... Mais aller, la psy est sympa, alors je vais faire un p'tit effort. Mais je pousse tout d'même un léger soupire avant. Faut bien...

Elle s'appelle Nrivana. Elle a 22 ans. Je l'ai pas vu grandir je... Je la connais depuis seulement quelques mois... Sa mère était jeune alors... Elle m'a pas dit qu'elle était enceinte. Enfin vous voyez quoi. Elle a disparu. Et je les ai retrouvé pas longtemps avant l'accident.

Wow j'ai déjà beaucoup trop parlé. J'en reviens pas moi même. Je sais qu'elle va me poser des questions auxquelles j'ai pas envie de répondre. Je veux pas parler de ce que je ressens. Je veux pas parler de la colère ni de la joie ou de la peur que j'ai ressenti en apprenant que j'avais une fille de 22 ans. Je ne veux pas parler de la douleur que je ressens quand je pense que je ne l'ai pas vu grandir, que je n'étais pas avec elle pour ses premiers pas, que je n'étais pas là pour péter la gueule de son premier p'tit copain... J'ai pas envie de raconter tout ça. A personne... Puis j'vois pas le rapport avec ma santé et l'accident. Alors foutez moi la paix...

Je sais que cette jeune femme est professionnelle. Et pour moi, elle n'est pas sincère quand elle dit tout ça. Elle a l'air de l'être, mais c'est son métier après tout, pas vrai?

Alors quand elle demande si je veux raconter ma vie ou bien parler directement de l'accident, j'me fais pas prier. J'ai déjà dit que j'aimais pas parler de moi? Ah oui, c'est vrai. Bon... L'accident. Je vais mentir en bloc, évidemment. Je vais pas raconter qu'on a tenté de me tuer par vengeance... Ca fait tâche sur le dossier.

Oh, y'a pas grand chose à dire sur l'accident vous savez. J'ai joué au con, et j'ai du payer le prix. J'arrivais à un passage à niveau et les barrières commençaient à se fermer. Alors j'ai foncé pour passer quand même. Mais le train est arrivé trop vite et je l'ai pris de plein fouet. Heureusement que j'ai eu le réflexe de me détacher et de sauter de la voiture juste avant qu'elle soit réduite en miettes.

C'est presque comme ça que ça s'est passé après tout. Sauf que y'avait trois voitures qui me poussaient sur les railles... Ces enfoirés... J'ai envie de les tuer... Mais j'ai surtout envie de mettre ma famille à l'abri maintenant... Quoiqu'il en soit je suis excellent menteur! Mais va-t-elle me croire? Olivia a deviné que je mentais. Mais c'est Olivia. J'ai l'impression qu'au fond elle me connait par coeur, même si on s'est pas tant vu que ça encore... Mais la psy? Est ce qu'elle a l'habitude des bons menteurs? Est ce qu'elle a un super pouvoir détecteur de mensonges? J'espère pas.

Je parle trop. Beaucoup trop. Pourquoi je parle autant? Je parle jamais autant... A part à Nirvana... Mais Nirvana est une exception.

La discussion prend soudain une tournure policière qui ne me plait pas du tout. Même si sa voix est douce et qu'elle se cache derrière de la gentillesse, je n'aime pas la tournure que prend les questions de la psy. J'ai l'impression de me faire interroger. Et surtout... J'ai pas envie de parler de l'accident, de la façon dont s'est arrivé. Déjà parce que ça va me mettre hors de moi, que je ressens une colère immense envers ces hommes, mais aussi parce que je me suis senti faible, parce que c'est à cause de ça que je suis dans cet état, cloué à ce fauteuil comme un incapable. A cause de ça que je suis dépendant de Nirvana, que je ne peux plus rien faire tout seul... Et ça me bouffe.

Ecoutez... Je crois que j'en ai assez dit. J'ai plus envie de parler.

Bah, autant être clair. J'ai bien vu que tourner autour du pot ne servait à rien avec elle. Alors je suis franc. J'ai plus envie de parler. J'ai même envie de me barrer. Pour quoi faire j'en sais rien... Pas grand chose, cloué à ces roues... Je veux juste qu'on me foute la paix...

Ah ouai, c'était déjà la fin? Je m'en n'étais pas rendu compte. Et c'est pas ironique. Comme quoi c'était pas si horrible... Mais j'ai pas trop envie de parler d'avantage. J'ai pas l'habitude de ça, et je me sens pas à l'aise. Alors qu'elle propose de parler d'autre chose, j'affiche cette fois-ci un sourire ironique en lâchant un

- Non merci!

Je prends le papier et je pars.

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Honnêtement, j'avais pas très envie de revenir aujourd'hui. En plus je sais très bien qu'en revenant je m'expose à parler de l'accident. Et franchement... Ouai, j'ai pas envie. Pas du tout. Mais qui sait... Peut-être que ça pourrait me faire du bien d'en parler à quelqu'un d'autre qu'à Olivia. Je m'inquiète trop pour elle pour lui en parler d'avantage alors... Peut-être...

J'y retourne. Pour Nirvana avant tout, mais aussi parce qu'au fond, j'en ai peut-être plus besoin que je le prétends. J'arrive donc devant la porte de la psy, et frappe avant d'entrer. Je me présente face à elle dans mon fauteuil, et annonce d'un ton ironiquement joyeux.

- Me revoilà! Avouez que vous êtes contente de me revoir.

Je ne peux pas le nier. Même si Aby reste professionnelle, il y a une certaine complicité qui nait entre nous. Et c'est plutôt agréable finalement, de parler à quelqu'un. J'affiche un sourire amusé et taquin à ses paroles.

- Oui ça va... Vous êtes plus sympa en vrai que d'apparence. Ouaip pour le café je dis oui.

Je ris un peu à sa remarque. J'allais dire qu'on me le dit souvent, que je suis maso, mais je vais éviter. Elle va vraiment me prendre pour un taré à force et va demander à ce qu'on m'enferme.

- Ca va bien. Mais ça irait encore mieux si on pouvait se tutoyer. Je déteste ces formalités et puis, ça me fait me sentir vieux!

J'espère qu'elle ne va pas m'analyser en disant que j'ai un traumatisme de vieillir ou une connerie dans le genre. Parce que je disais ça pour déconner. C'est juste que j'aime pas quand y'a trop de manières. Et je parlerais plus facilement si on pouvait se tutoyer. Je sais qu'elle n'est pas ma pote, mais ce serait quand même plus agréable. Ca ferait moins... Psy et patient.

Je l'écoute bien sagement. Bien sûr que j'suis mature ahah. Plus sérieusement je comprends parfaitement et je suis pas du genre a faire ami ami facilement de toute façon. Qu'elle se rassure, même si je l'apprécie, je la vois toujours comme mon doc', rien de plus. Alors j'affiche un sourire.

- Bien m'dame.

Elle me demande alors de quoi je veux qu'on parle aujourd'hui. J'hésite un instant. Je suis pas revenu pour tourner autour du pot, et parler du chien que j'avais quand j'étais gosse ou une connerie comme ça (j'ai pas eu de chien quand j'étais gosse, c'est une image, fin bref). On est là pour parler de l'accident. C'est ça le but de ces séances. Et je serais pas revenu si je ne voulais pas en parler.

Alors j'attrape ma tasse, profitant de la chaleur qui pénètre la peau de mes mains. Puis je regarde la jeune femme.

- Je suis prêt à parler de l'accident.

Je respire une seconde, puis je reprends.

- Tu voulais que je te raconte comment ça s'est passé. Alors c'est ce que je vais faire. J'étais au volant de ma voiture pour sortir en ville. Un type accélérait et se mettait à mon niveau, sur ma gauche. Je l'ai reconnu. Je savais que c'était un de ces types à qui... A qui j'avais fait une arnaque.
J'ai cru qu'il voulait m'impressionner voire me faire m'arrêter pour me péter la gueule, une connerie du genre. Là où j'ai commencé à plus m'inquiéter, c'est quand j'ai vu une seconde voiture à ma droite. On arrivait tout droit sur un passage à niveau. Le feu était allumé, l'alarme sonnait et les barrières venaient tout juste de se fermer. Une troisième bagnole est arrivée derrière la mienne. Ils m'ont pris en sandwich et ils ont poussé ma caisse sur les railles, forçant la barrière. Je me suis détaché et j'ai sauté de la voiture juste avant qu'elle vole en éclats.

Alors que je termine mon discours, je baisse un instant le regard. Je n'aime vraiment pas parler de moi. Et encore moins de cet accident. Je ressens de la colère, de la haine envers ces types, mais aussi de la douleur pour être dans cet état.

Mon regard est fuyant. Je n'aime pas parler de moi et encore moins de tout ça. C'est encore difficile. Alors je n'arrive pas vraiment à la regarder dans les yeux.

J'ai eu peur, juste avant... Je me souviens me retrouver par terre à plus pouvoir bouger à cause de la douleur. Et là... J'ai ressenti de la haine. Envers ces types. Mais aussi contre moi-même. J'étais conscient des risques quand je... les ai arnaqué... Mais c'était... Avant que je sache que j'avais une fille. Et là j'étais juste entrain de tout gâcher.

Je ris un peu nerveusement. J'essaye de continuer à réfléchir à ce que j'ai ressenti. Me confier était à la fois douloureux et agréable. Ca fait du bien de parler à quelqu'un... Mais ça remet les plaies a vif.

J'ai eu peur aussi, quand j'ai appris que j'allais plus marcher. Au moins pendant un moment... J'ai toujours peur de jamais retrouver mes jambes... Je ressens toujours de la colère... Mais surtout j'ai peur de ce que sont capables de faire ces types... J'ai peur pour ma famille...

Je m'arrête. J'ai déjà tellement parlé. C'était comme si j'avais atteint mon quota. Comme si c'était trop douloureux de continuer.

Oui ça fait du bien... Mais ça fait mal aussi. J'en sais trop rien. Je me sens étrange. Plutôt mal à l'aise à vrai dire.

Les protéger... Mais je ne vois pas comment... Aller voir la police serait pire que tout. Ce serait provoquer plus encore ces types... Je sais pas quoi faire. Pour le moment j'essaye... de me faire oublier. Je ne dis rien. J'ai déjà tellement parlé. Je ne me sens pas très bien. Mais alors, elle me pose à nouveau des questions. Mon regard se perd à nouveau ailleurs alors que je reprends la parole. C'est assez flou dans mon esprit.

Je... J'en sais rien. Je voudrais juste qu'on me laisse tranquille avec ma famille. Je veux juste profiter d'elle. Mais il y a encore quelques fois où... Où je supporte plus d'être dans ce fauteuil. Où je supporte plus que ma fille... Soit obligée de m'aider tout le temps, pour tout et n'importe quoi. Dans ces moments... Je... Je n'me supporte plus.

J'ai même craqué pour la première fois il y a deux jours. Mais je ne veux surtout pas parler de ça c'est... insupportable. J'essaye de marcher en béquille avec l'aide de Nirvana et je commence à me débrouiller tant qu'elle me soutient. Mais j'ai voulu essayer seul et évidemment je suis tombé à la première seconde. Et Nirvana m'a retrouvé... allongé par terre, comme paralysé, des larmes coulant sur mes joues. Je crois que... C'est la première fois de ma vie que je pleurais ou alors je m'en souviens pas. Mais j'ai pas supporté qu'elle me voit dans cet état. J'aime Nirvana et sa présence me rassure. Mais je supporte pas qu'elle me voit ainsi. Je me dégoute.