TRYING TO FIND A WAY TO SAY HI ;

❥ ❥ ❥ Après avoir laissé à l’école, Astoria et Louie, les jumelles que je dois déposer et récupérer le jeudi, je remonte rapidement la rue dans laquelle se trouve leur établissement, bravant le froid et la petite pluie, la capuche de mon imperméable jaune et vert rabattu sur la tête, pour me précipiter dans le café dans lequel j’ai l’habitude de traîner.

Avec le temps, c’est devenu mon préféré.

J’y ai quasiment une place attribuée. C'est à la table qui fait l’angle du mur et de la vitrine, au niveau du radiateur, avec une banquette d’un côté – là où je m’assois – et une chaise, en face de moi, qui reste vide et contre laquelle j’étends mes jambes parfois. C’est l’endroit idéal parce que j’ai une vue sur tout le café et sur l’extérieur aussi, j’ai une banquette, qui en soit, est beaucoup plus confortable qu’une simple chaise et une chaise, du coup, pour soulager mes genoux qui restent fléchis sous mon poids pendant trop longtemps ainsi que le radiateur pour me réchauffer.

Donc la première chose que je fais en rentrant, c’est de regarder si la place est libre et heureusement pour moi, par je ne sais trop quel miracle, elle l’est tout le temps. Je m’approche du comptoir en retirant ma capuche, salue les baristas, que je connais bien maintenant et commande un Chai Latte ainsi qu’une part de cheesecake, comme d’habitude, parce que j’ai jamais réellement le temps de déjeuner avant d’aller chercher les filles chez leur mère.

C’est à peu près tout ce que je mange le jeudi, parce que le jeudi, Riley commande toujours thaï et si je veux finir la portion qu’il me prend, il faut absolument que je garde de la place. C'qui est pas évident avec un estomac de moineau tel que le mien.

Une fois ma commande prête, et après avoir ajouté une dose obscène de sucre à mon thé, je prends place à ma table, défais ma veste mouillée de mes épaules, que je repose contre le radiateur pour qu’elle sèche et jette un coup d’œil à l’heure, sur ma petite montre Casio. Cinq heures à tuer avant d’aller chercher les jumelles après l’étude.

Je sors mon cahier d’écriture, mon critérium et mon iPod de mon rucksack, enfonce mes écouteurs dans mes oreilles, allume l’appareil, prends une bouchée de mon cheesecake et commence à taper du pied par terre, me mettant dans l'ambiance pour écrire des morceaux de chansons. Parce que c’est à peu près tout ce que je fais le jeudi après-midi : j’écris de nouvelles compositions. Et ces derniers temps, je suis particulièrement inspiré par la fille qui brise mon cœur sans le savoir.

En fait... c’est vachement quelque chose de typiquement masculin de remettre la faute sur la fille dans ce genre de situation. Elle me brise pas le cœur, au final, je suis le seul fautif, c’est moi qui aie plongé le premier.

Et c’est pas comme si j’étais amoureux d’elle. Je sais distinguer ce genre de chose d’un simple crush. Et c’est définitivement un simple crush.

Bref, toutes ces choses que je ressens, je m’en débarrasse un peu en les écrivant et c’est vachement utile. Je me sens moins lourd. Et écrire ses sentiments aide à mieux les distinguer, puis les cerner pour les combattre ou les développer correctement.

Et dans ce genre de circonstances, j’aime me dire qu’un jour, des personnes écouteront ces paroles et se diront que c’est exactement ce qu’ils ressentent aussi et l’idée de pas être le seul dans ce genre de situation inconfortable, c’est rassurant quelque part. Ça prouve qu’on est pas le seul abruti à qui ça arrive et puis accessoirement, ça prouve qu’on s’en sort, parce qu’on finit tous par passer à autre chose.

Je m’apprête à prendre une première gorgée de mon thé, quand ma table se met à trembler sous le poids d’un mac couvert d’autocollants et lorsque je lève les yeux, je me retrouve face to face avec une paume et mes paupières s’ouvrent en grand sous la surprise. Mon gobelet est toujours pendu à mes lèvres, mais j'y bois pas, regardant l'autre main de la personne, batailler contre la prise qui assiste ma table et, ah oui, j’oubliais que mon spot était génial pour ça aussi, parce que c’est le seul endroit dans le café, où il y a une prise.

Quand elle parvient finalement à brancher son chargeur dans le mur, je réalise que j’étais en train de retenir ma respiration, comme si je me sentais personnellement impliqué dans sa galère. Puis elle se laisse retomber sur sa chaise et je peux boire mon thé sans pression aucune et accessoirement voir le visage qui se cache derrière la paume et les autocollants.

« Batterie morte, » je lis sur ses lèvres, avec mes écouteurs toujours dans les oreilles, jouant 2Shy de Shura et je tire sur le fil pour en défaire un de mes oreilles et entendre la suite, si jamais elle se remettait à parler.

En face d’elle, j’ai encore un peu de mal à assimiler la situation, concentré sur les paroles du premier couplet qui résonnent dans mes oreilles. Elle rougie et je suis certain que moi aussi, cachant subtilement (ou pas) mon cahier de mes avant-bras après avoir reposé ma tasse proche de mon cheesecake à moitié entamé. « Promis j'dégage dès que c'est complet. Enfin la batterie. Faut que j'finisse un truc. Pour les cours. » je secoue la tête en passant une main dans mes cheveux, « Non, non, c’est… ouch, » je murmure en grimaçant, les phalanges coincées dans mes boucles sur lesquelles je tire pour m’en défaire, et quand même, repousser mes cheveux en arrière. « C’est okay, » je complète en lui rendant son sourire, un peu maladroitement.

Elle se lève pour aller chercher ses affaires à la table à laquelle elle était assise un peu plus tôt et c’est la toute première fois que ce genre de truc m’arrive. Je pourrais être agacé ou gêné ou trouver une excuse pour lui laisser la table et m’en aller, mais j’suis toujours partant pour une nouvelle aventure et ça va paraître étrange comme facteur, mais elle sent vachement bon, donc j'ai envie de rester encore un peu.

Lorsqu’elle revient s’asseoir, elle se reconcentre directement sur son ordinateur et ne me calcule même pas, se remettant directement au travail et je me dis que je devrais probablement en faire de même au lieu de la regarder ou essayer de trouver un sujet de conversation. Elle a dit qu’elle devait terminer quelque chose et vu la panique générée pour empêcher son pc de mourir, c’est très certainement quelque chose d’important.

Je récupère mon stylo et relis ce que je viens d’écrire, mais je sais au fond de moi que j’vais relire mes bribes de chansons en boucle et pas réussir à me remettre dedans.

Alors je soupire après un moment et repose mon crayon, m'avouant vaincu, m’enfonce dans la banquette et récupère mon Chai Latte. Je regarde à l’extérieur, distraitement, essayant de ne pas reposer mon attention sur la fille, parce que je sais que je déteste qu’on me regarde quand je travaille et comme j'ai pas envie de faire aux autres ce que j'aimerais pas qu'on me fasse...

J’étends légèrement mes jambes sous la table, parce que j'ai un peu mal au genoux et cogne contre ses pieds? ses chevilles? ses mollets? bref, un de tout ça, sans faire exprès, ce qui me fait sursauter et j'panique.

Je tourne brusquement la tête et nos regards se croisent avant que je ne replie mes jambes sous la banquette. « Désolé, je t’ai fait mal ? Désolé. Désolé. Mes jambes font quatre mètres de long, dès fois j’me prends les pieds dans mes propres chevilles quand je marche, c’est un Enfer, j’suis désolé. »

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❥ ❥ ❥ « T'excuses pas, c'est pas toi, » me rassure-t-elle en massant sa jambe sous la table et même si il pleut et même si on est presque en hiver, la prochaine fois, je viens ici en tatanes-chaussettes, ça fait mal à personne les tatanes. Enfin, ça dépend dans quel contexte. Logiquement, un coup de pied-tatane c’est pas douloureux, mais le lancer de tatane, ça peut être carrément mortel quand tu vises bien. C’est presque un sport en France, c’est pas des blagues.

Bref, une marre de chocolat chaud me tire brusquement de mes pensées. Je sais pas comment c’est arrivé, mais je quitte la banquette à une vitesse impressionnante pour fuir le flot avant qu’il ne coule sur mon jeans.

Je m’occupe deux gamines de huit ans. Si je me pointe à leur école plus tard avec une tâche humide sur mon pantalon, à l’endroit stratégique, j’aurais plus aucune crédibilité. Plus aucune. « Et merde, merde, merde, » scande-t-elle en récupérant son ordinateur et mon petit cahier d’écriture à la volée, avant qu’un drame ne se produise et franchement, sur le coup, je suis vachement reconnaissant et impressionné. « Félicitations Zaza, c'est presque un talent à ce niveau-là, » fait-elle pour elle-même, ce qui m’arrache un sourire et je regarde rapidement autour de nous pour localiser quoi que ce soit qui puisse éponger notre table, avant de me retrouver les bras chargés de nos affaires. Plus rapide que moi, elle fonce sur le distributeur de serviettes pour revenir essuyer notre table et je reste planté là, comme un abruti, à la regarder faire.

Zaza. Zaza pour Elsa? Elizabeth? Zara? Non, elle a pas une tête à s’appeler Zara. Zachary? C’est un prénom mixte, au moins, Zachary? Ou peut-être que Zaza est juste réellement son prénom. Il y quelqu’un qui s’appelle Zaza dans la Bible. Culture général, susu.

Je veux m’approcher pour retenir son pull en arrière quand il manque de tremper dans le chocolat chaud alors qu’elle se penche au-dessus de la table. Geste purement instinctif, que j’aurais fait pour n’importe quel enfant que je garde, mais ça aurait probablement été déplacé, et sur le coup, je suis heureux d’avoir les bras encombrés. Ça nous évite un autre malaise, je suppose.

« Désolée, j'suis une catastrophe ambulante, » fait-elle visiblement sincèrement confuse et, j’déconne pas, sur le coup mon cœur se crispe dans ma poitrine. « C’est ma faute, j’suis un véritable chat noir, Maladresse est mon deuxième prénom, j’attire, je provoque ce genre d’accident. Ça fait rien, je t’assure. Merci d’avoir sauvé mon calepin. » Elle continue de nettoyer la table, essuyant les dernières gouttes de chocolat çà et là et mon regard glisse sur l’écran de son ordinateur, un bref instant, rencontrant une page words noircie de petits caractères. Ça bosse dure. « J'espère que ça restera entre nous hein, pas la peine que tout le campus soit au courant, » lance-t-elle, me forçant à lever les yeux vers elle. Il me faut un moment avant de saisir qu’elle me prend pour un étudiant et de nouveau, je me mets à sourire. J’aimerais vraiment faire des études et ça me plait, quelque part, d’avoir la gueule de l’emploi. « Voilà, ça devrait le faire » annonce-t-elle en se redressant finalement et je repose directement nos affaires sur la table, son ordinateur avec délicatesse, avant de pousser un lourd soupir. « Je vais tenter le Diable et aller me reprendre quelque chose à boire. Tu, eh… veux quelque chose ? C’est pour moi. Pour t’avoir donné un coup de pied sous la table, » je propose presque timidement, me sentant coupable, ayant réellement l’impression d’avoir provoqué tout ça.

« Oh et, um. Si tu veux qu’on échange de place… tu peux t’asseoir sur la banquette, c’est, um… plus confortable et il fait meilleur, avec le radiateur. C’est probablement plus agréable d’être assise là si tu dois terminer ton devoir. » Je m’empare d’une serviette qu’elle n’a pas utilisé pour me pencher et essuyer la banquette, ainsi que le sol, là où le chocolat chaud s’est répandu et rassemble entre mes mains les serviettes usagées. « Voilà. Um. Commande, je vais commander, du coup, » je murmure avant de faire volte-face pour me diriger vers le comptoir, grimaçant pour moi-même.

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❥ ❥ ❥ Lorsque la barista me voit dans la queue de nouveau, elle sait quoi me préparer sans que j’aie besoin de demander. Je suis connu comme le loup blanc ici, à force d’y passer ma vie. Donc lorsque j’arrive à sa hauteur et qu’elle me présente ma tasse de chai latte, je troque mes serviettes imbibées de chocolat et nos tasses vides, contre une nouvelle tasse de chocolat en plus de mon thé déjà prêt, décline sa demande quand elle me propose une autre part de cheesecake et sors l’argent nécessaire de mon porte-monnaie pour payer ma commande avant de m’approcher du stand, au bout du comptoir pour sucrer outrageusement mon thé une nouvelle fois.

Je suis toujours mortellement nerveux lorsque je me dirige vers notre table, ma lèvre inférieure coincée entre mes dents sous la concentration, pour ne rien renverser. Je pose ma tasse face à ma chaise, satisfait de voir qu’elle a pris la banquette comme je lui ai suggéré et échange sa tasse contre mon cahier avant de prendre place en face d’elle, m’asseyant sur l’une de mes jambes et rangeant l’autre sous la chaise pour éviter tout autre type d’accident impliquant mes stupides membres.

« Alors ... t'es dans quelle section ? » questionne-t-elle abruptement et je hausse les sourcils en levant les yeux vers elle. C’est pas comme si j’avais nié quoi que ce soit tout à l’heure donc forcément elle est toujours convaincue que je suis étudiant. Je n’ai pas le temps de répondre qu’elle se met à parler de nouveau: « Attends, je rembobine. Ce s'rait peut-être plus sympa que j'commence par me présenter après avoir failli détruire ton carnet et carrément squatter ta table. » dit-elle, me faisant pouffer de rire et hormis le fait qu’elle soit beaucoup plus rouge que moi, je crois qu’on est autant nerveux l’un que l’autre. Je serre les poings sous la table pour m’assurer que mes mains sont pas trop trop moites et décide que non avant de venir serrer la main qu’elle me tend en souriant. « Zaza, enchantée. Enfin ... Teresa. Mais tout le monde m'appelle Zaza. » J’avais tout faux, donc. Pas Elsa, ni Elizabeth, encore moins Zara ou Zachary. Teresa. Zaza pour la dernière syllabe de Teresa. « Bellamy, » je me présente simplement en hochant la tête ne pouvant m’empêcher de sourire, avant de finalement lâcher sa main pour directement les glisser autour de ma tasse.

Je me dandine légèrement, m’installant confortablement sur ma chaise et presse mes paumes contre les bords de la tasse avant de les écarter de cette dernière lorsque la chaleur devient insoutenable et recommence à plusieurs reprises, tentant de me souvenir de ce qu’on disait avant de se présenter à l’autre. Ah oui… ma section. « Pour en revenir à ta question, je suis pas… » je secoue la tête en grimaçant, légèrement mal à l’aise. « je suis pas étudiant à Columbia, j’aime juste vraiment ce café? Toi par contre t’écris un essai, pas vrai? C’est sur quoi? » je demande avant de porter ma tasse à mes lèvres pour boire une petite gorgée de mon thé, sans la quitter du regard. Elle a les yeux gris… j’aime bien.  

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❥ ❥ ❥ En reposant ma tasse, je jette un rapide coup d’œil à ma montre. J'suis encore large avant de devoir récupérer les filles à l'école, mais le temps est passé vite depuis que Teresa, donc, est venue se crasher à ma table. Le temps passe plus rapidement quand on a de la compagnie. Surtout quand la compagnie en question porte un pull de Noël, une paire de leggins galaxie et des autocollants de super héros sur son ordinateur. Sans vouloir juste m'appuyer sur les apparences, elle a quand même l'air plutôt cool. Ce qui est encore plus cool, c'est que ma maladresse passe plus ou moins bien, étant donné qu'on est au même level de calamit... cala... calam...itude? calamitude? Ouais bon, OK. Voilà.

« C'est ma faute, j'mets pas assez souvent le nez hors du campus que pour envisager qu'il y a des trucs cool aussi à faire dans la vie. Autre que de moisir dans un amphi. » Je me demande si je serais studieux au point de ne jamais quitter l'université, si j'étais étudiant pour de vrai. Probablement pas.

La paresse, ma meilleure copine.

« La folle histoire du circuit intégré, » me répond-t-elle aisément, comme si elle me parlait de la météo. « Ou comment profiter de congés refusés pour piquer le matos de tes collègues et faire une invention de folie qui permettra de pister des milliards de personne grâce à une simple carte. J'envisage d'en faire un traitement expérimental contre l'insomnie. » OK, donc on a Teresa, étudiante en quelque chose qui touche visiblement aux sciences, balèze, qui sait de quoi elle parle, qui va probablement changer le monde un jour. Et en face, Bellamy, babysitter et wannabe chanteur qui sait même pas ses tables de multiplications par cœur.

« La joie des bouclettes, » fait-elle quand ses phalanges se coincent dans ses mèches couleur feu et je pouffe de rire avant de faire une petite grimace. « Le pire, c'est le matin, j'pense. Quand tes cheveux sont bien emmêlés et t'es juste trop dans le coltard pour te rendre compte de l'erreur fatale que tu fais en passant tes mains dedans. Enfin, au moins, ça réveille, mais bon... » je fronce les sourcils, réalisant que je parle pour rien dire, avant de me racler la gorge. « Et du coup Bellamy, que fais-tu dans la vie à part attirer des catastrophes ambulantes ? » fait-elle, changeant de sujet, « Enfin, à ta table. J'veux dire ... les attirer à ta table. Enfin, tu vois quoi. J't'embête peut-être en plus, t'avais sûrement du taf à faire ou ... j'sais pas. » et je hausse les sourcils avant de me mettre à rire et doucement secouer la tête. « Non, non, t'en fais pas, je griffonnais juste... je... je fais du trafic d'enfants dans le Bronx, il y a la liste de leurs prénoms et des acheteurs là dedans, » je lance en tapotant doucement mon carnet, gardant mon sérieux, alors que je la dévisage.

De longues et silencieuses secondes s'écoulent avant que je ne baisse la tête, repose mon front contre la table pour me mettre à rire.

Puis après un instant, je me redresse, passe une main dans mes cheveux pour les repousser en arrière avant de la coller contre ma bouche pour dissimuler mes dents style Bob l'Eponge. « Je plaisante. Je suis babysitter, en vrai. Aussi inquiétant que ça puisse paraître, étant donné que je suis pas ce qu'il y a de plus habile... mais je suis assez doué. Enfin, les parents me confient toujours leurs enfants, alors je suppose que ça se passe bien. Et... um, j'écris des trucs... là... il y a pas de prénoms d'enfants là-dedans, juste des trucs... des mélanges de poèmes ou textes que j'ai lu et des paroles que j'invente, blabla. » Je marmonne en levant les yeux au ciel avant de pousser un lourd soupir.

« En tout cas, ce que tu fais à l'air vachement compliqué... Enfin, faut dire que je suis aussi très nul en sciences et tu viens de me parler en Bulgare en voulant m'expliquer le sujet de ton devoir mais en même temps j'trouve ça hyper cool. J'aime bien les gens qui me parlent de trucs qui me dépassent, je trouve ça fascinant. T'es Vierge, non? »

J'attends sa réponse, avant de réaliser l'ampleur de la question. Du double-sens, surtout. « Enfin, j'veux dire... oh mon Dieu. Pas... j'voulais dire en signe astrologique. Genre, née en août/septembre. L'astrologie c'est le seul type de science que je comprends. J'aime bien les sciences un peu abstraites. J'ai lu pleins de trucs sur le sujet, j'adore ça, et donc, j'te demande si t'es Vierge parce que les Vierges ont tendance à, um... beaucoup travailler? C'est des intellectuels, ils sont super intelligents, les plus intelligents du zodiaque, alors, je me demandais... tu vois, par exemple, Mère Teresa était Vi...... oh, mais... oh mon Dieu. Oh non, mais... » je couvre mon visage de mes mains, me sentant rougir jusqu'à en avoir des picotements dans la nuque. « OK, non, mais, sérieusement... sérieusement. Si après avoir fait ma connaissance tu pouvais inventer un moyen de supprimer l'existence d'une personne genre clic droit, supprimer, corbeille. »  

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❥ ❥ ❥ Evidemment, ma question pose problème, je le vois immédiatement à son expression. Son sourire qui tombe, l’incompréhension qui se lit sur son visage et alors que je me noie sous mes explications bancales mais honnêtes, un sourire étire lentement ses lèvres roses et quand je m’interromps après une énième bourde, choisissant de citer Mère Teresa, plutôt que Beyoncé ou Elizabeth I parmi la longue liste de figures emblématiques supportant le signe, elle éclate de rire et même si je suis mort de honte, je suis rassuré de la faire marrer après l’avoir visiblement profondément choqué. C’est compréhensible, en même temps. J’veux dire, c’est pas le genre de truc que tu demandes à une fille vingt minutes après l’avoir rencontré. Les questions sur la sexualité, les questions sur la politique et tous autres types de controverse sont à exclure pour éviter le conflit, les mauvaises impressions ou les moments gênants comme ceux-ci, c’est primordial. Honnêtement.

« Tu rigoles ou quoi ? J'ai pas autant ri depuis des jours. Et puis c'est pas si facile. A ce compte-là, vaudrait mieux te commander un Death Note sur Amazon, t'vois, » me répond-t-elle en essuyant les larmes qui mouillent les coins de ses yeux et franchement, je me sens mieux. Mes joues cessent de brûler et je passe une main dans ma nuque pour chasser la sensation de picotement. Le mal est réparé. Oof. Je souris à la mention du Death Note et la pointe du doigt en hochant la tête. « Oh j’en ai un! J’en ai eu un pour mes quinze ans, quand mes boucles étaient grasses et mon front semblable à une calculatrice Casio graph 35+, durant ma période k-pop/j-pop étrange, ou je passais ma vie à regarder, lire des mangas et écouter du Antic Café et du Miyavi. J’avais beau écrire les prénoms-noms-heures de décès Light style, » je récupère mon stylo et fais mine de griffonner sur mon carnet et terminer mon gribouillis en faisant un grand geste vers l’extérieur de la feuille, comme Light dans sa frénésie, avant de le reposer en faisant la moue : « ça marchait jamais. J’ai jamais tué mes parents, ni le type qui sortait avec mon crush de l’époque, ni moi-même après avoir, um. Uriné dans ma salopette un mardi matin, après mon cours de physique, parce que j’arrivais pas à l’enlever. Ce souvenir me suivra jusque dans la tombe, » j’avoue en mordant dans ma lèvre.

« Enfin ... c'est pas compliqué c'que je fais là. C'est juste un exposé pas franchement utile ... Mais sinon, j'suis en section robotique. Ca sonne plutôt stylé, à la Tony Stark, mais concrètement, j'passe plus de temps à faire des recherches sur Google. » je pouffe de rire imaginant soudainement, la rouquine dans un laboratoire en train de tester une combinaison rouge en métal. Section robotique. Rien que le nom sonne badass. C’est attirant. « Et donc ... T'avais vu juste. J'suis de septembre. Donc Vierge, si j'en crois c'que tu me dis, » lance-t-elle et j’esquisse un sourire face à sa moue avant de serrer le poing et murmurer un petit « yes » pour avoir vu juste. « Ca fait de moi une bosseuse ... C'est donc à cause de ça que j'décroche pas des bouquins. Toi, t'es quoi du coup ? » Je ris doucement en mettant la main sur ma tasse. « Les Vierges ont d’autres qualités! Autre que le fait d’être bosseurs. Ils sont modestes, honnêtes, méthodiques, sincères, gentils... curieux, perfectionnistes. Les derniers peuvent être considérés comme des défauts, mais j'trouve ces traits coolos. Moi je suis Sagittaire. Le signe le plus chanceux du zodiaque, paraît-il. C’est utile quand t’es maladroit. Je fais une connerie, mais je retombe toujours sur mes pattes. Um... Sans vouloir jouer la carte de la drague à deux balles, les Vierges et les Sagittaires s’entendent vachement bien. On est tous les deux attachés à notre liberté, à nos ambitions, donc on se rejoint sur pas mal de choses…, » je déclare avant de pincer ma lèvre inférieure entre mon pouce et mon index, puis porter ma tasse à mes lèvres, considérant longuement ce que je viens de dire. J'ajoute rien, parce que j'ai peur de m'enfoncer. La dernière phrase était probablement pas nécessaire, mais maintenant qu'elle est sortie... elle est sortie.

« T’écoutes quoi? » je questionne en pointant son casque, qui pend autour de son coup du menton en reposant mon thé sur la table, croisant mes mains sur la table. Je pose des questions, mais peut-être a-t-elle envie de bosser plutôt que je lui fasse la conversation. Mais la musique, c’est un peu ma vie, donc… j’ai. Besoin de lui demander? « Dernière question avant de te laisser bosser, promis. »   

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❥ ❥ ❥ Ma remarque sur la drague fait un bide. Et franchement, je m’en plains pas, au contraire. J'essayais pas de la draguer, je sais pas draguer. C'est juste que parfois, quand je fais des allusions de ce genre avec l'astrologie, on dirait que j'essaye de draguer. Alors je précise que je cherche pas à draguer, mais ça donne toujours le mauvais message, alors honnêtement, je sais pas quoi faire. Mais elle relève pas. Elle dit carrément rien. Et je sais pas si c'est préférable ou si c'est pire que... pfff, j'en sais rien.  

Je suis maladroit dans tous les sens du terme. A cause de mes jambes, qui me font trébucher, qui sont toujours là où il faut pas quand il faut pas à cause de leur stupide longueur. Et à cause de ma bouche qui sort des mots avec des lettres pas forcément dans l’ordre, parfois. Qui bégaie. Qui sort des conneries plus grosses que la taille du Texas. Je sais pas aligner un pied devant l’autre sans tomber ou blesser les autres. Je sais pas dire un truc sans l’écorcher ou être réellement certain que c’est la bonne chose à dire. Et en quelques heures seulement, j’ai su combiner toutes ces maladresses en face d’une personne. Que j’connais pas. Et c’est assez lamentable, quand on y réfléchit. Mais j’suis heureux qu’elle relève pas, ou qu’elle parvienne à me/nous mettre à l’aise sans réellement le vouloir/savoir.

En général, je cherche toujours à fuir ce genre de situation, à m’enfuir le plus rapidement possible. Parfois, je me demande comment j’ai des potes, puisque je prends la poudre d'escampette à chaque fois. Mais peut-être que Teresa est un peu comme Riley. J’me souviens notre rencontre et comme le courant est passé immédiatement. J’ai enchaîné les maladresses, mais j’ai pas envie de quitter cette table et j’ai pas envie d’arrêter de lui parler.

« Le dernier album de Marina and the Diamonds. Froot. Le nom m'fait marrer, » dit-elle en me tendant son casque que j’attrape sans la quitter des yeux. « J’ai déjà entendu parler d’elle, vu son visage sur Tumblr. C’est la fille avec un cœur sur la pommette, non ? » Son casque est génial. Je suis un adepte des écouteurs parce que les casques écrasent mes boucles soyeuses, mais il est vachement cool. Jaune. « Enfin, faut aimer quoi. Mais j'adore sa voix. Ça m'redonne la pêche, » ajoute-t-elle avant que je pose le casque sur mes oreilles, un sourire pendu aux lèvres. « Froot, » je répète en gloussant doucement. Parfois j’rigole comme une collégienne. J’sais pas d’où ça sort.

J’écoute un bout de la chanson qui passe dans mes oreilles en hochant doucement la tête, parce que c’est pas mal. C’est pas forcément mon style favoris de musique, mais c’est cool. Peut-être qu’en rentrant j’irai faire un tour sur iTunes. Je suis interrompu dans mon écoute quand mon portable se met à sonner et que le numéro affiché à l’écran, c’est celui de l’école des filles. Je fais basculer le casque autour de mon cou et regarde ma montre en répondant au téléphone. Je pensais que le temps était passé à toute allure, à bavarder avec cette fille, et que j’avais raté l’heure de sortie, mais il reste encore une heure et demi avant que l'école ne se termine. « Allô? » je fais curieusement, les sourcils froncés. J’ai une montée d’angoisse, mes mains tremblent.

Il y a eu un petit accident. Astoria jouait dans la cours de récréation et est tombée sur le bras. Elle est à l’infirmerie, on s’occupe d’elle, mais il faudrait l’amener à l’hôpital, pour être certain qu’il n’y a rien de grave. Sa mère a été prévenue, mais elle est dans l’incapacité de se déplacer dans l’immédiat, elle fait tout son possible pour se libérer plus tôt que prévu et aller chercher Louie avant de se rendre à l’hôpital à son tour. En attendant, je suis le seul disponible. La personne à appeler en cas d’urgence.

« Je fais vite, » je lance à la hâte avant de raccrocher et rassembler mes affaires pour les ranger dans mon sac. Je suis prêt à me lever pour enfiler ma veste quand le casque qui entoure mon cou me retient et ramène à la réalité. J’étais avec quelqu’un. En plein milieu de quelque chose. « Oh. Um, » je lâche avant de défaire le casque de mon cou pour le reposer sur la table. « Je suis désolé, um, je dois y aller, il y a… u-une des petites que je garde… putain, » je balbutie, stressé, peinant à mettre mon bras dans ma veste dans le rush, imaginant Astoria, quelque part dans son école en train de pleurer parce qu’elle s’est fait mal au bras. « C’était cool de te connaître, Teresa. Et de partager ma table avec toi, » je déclare en fourrant bien mes affaires au fond de mon rucksack pour être en mesure de le fermer avant de le hisser sur mes épaules. « J-je… um, um. » J’ai aucune idée de comment lui dire au revoir alors je lui fais un petit signe de la main – parce qu’on commence awkward, on finit awkward, pas vrai ? – avant de foncer vers la sortie. Sous la pluie. Je commence à remonter la rue, vers l’école qui fait l’angle et dont je vois un bout d’ici.

Puis je m’arrête brusquement, au beau milieu de la rue, au centre du trottoir et ça me frappe. Cette fille me fait passer le même sentiment que Riley. L’aisance. Le confort. La simplicité. C’était bien. Et c’est rare. J’viens tous les jeudis dans ce café et je l’ai jamais vu. Jamais. Quelles sont les chances pour que nos chemins se recroisent de nouveau?

Je fais demi-tour, brusquement, pousse la porte du café et fonce sur la table pour reposer mon sac sur cette dernière, essoufflé. Je sors mon cahier et mon stylo, griffonne mon numéro sur le coin d'une page, la déchire, me rendant immédiatement compte qu’il y a des paroles de l’une de mes chansons, dessus. « Si jamais un jour tu trouves un truc plus efficace que le Death Note, passe un coup de fil? Ou envoie-moi un message. Oh, et… ouais, il y a des trucs écris sur la feuille, mais c’est pas moi qui ai écrit, c’est l’œuvre d’un gros Loser qui s’appelle totalement pas Bellamy. J’y vais. Maintenant, j’y vais pour de vrai. »

Je repose la feuille sur la table avant de m’enfuir comme un voleur, comme un gros loser de première catégorie, parce que si je suis un Loser avec un L majuscule pour écrire des paroles aussi nulle sur une feuille où j’écris aussi mon numéro pour le donner à une fille, alors je suis encore pire Loser pour me barrer en coup de vent juste après ça. Mais j’ai une excuse. Et elle m’attend dans l’infirmerie, à son école. Et cette fois, pour m’y rendre, je cours.