New-York, 1979. Une petite fille nait dans un hôpital, un peu en avance. Elle a le teint mat, quelques petits cheveux bruns, et son premier cri provoque un sourire ému de ses deux parents. Mais le bonheur est de courte durée, parce qu’à peine vient-elle au monde que celle qui l’a portée durant neuf mois le quitte. Brutalement, devant un homme désespéré  qui se retrouve seul avec un nouveau-né dont il doit faire sa priorité. Les premiers mois sont difficiles. Il la voit, sans la regarder. Il la prend contre lui, sans la cajoler. Il s’en occupe, mais avec cette froideur, cette douleur en lui qui le pousse à fuir l’être qui a tant besoin de lui. Il l’aime. On suppose qu’il l’aime, mais il ne sait pas le montrer. Et les années passent, mais rien ne change. Une mère qui n’est plus là, un père qui n’est pas vraiment là non plus, la petite Olivia grandit presque seule. Elle est débrouillarde, Olivia. Elle est indépendante, Olivia. A six ans, elle sait déjà faire réchauffer un plat dans le micro-onde. A onze ans, c’est elle qui repasse les chemises de son père. Elle apprend à être là pour lui, parce qu’elle voit que lui ne sait pas l’être pour elle. Elle en retire un sentiment de vide, le sentiment qu’il aurait peut-être préféré que ce soit elle qui s’en aille… C’est sa faute, elle le sait, elle le pense. Elle ne le dit pas, parce qu’elle n’ose pas. Mais elle grandit, Olivia. Elle devient une adolescente. Elle se rebelle. Elle fume, elle boit, elle vit. Elle cherche à combler ce creux dans son cœur, encore, et encore. Elle lui en veut, à lui, lui qui commence à jouer un rôle qu’il ne voulait plus. Il crie, il hurle, il la punit, comme s’il en avait le droit. Mais elle a grandi seule, s’en est-il seulement soucié ? A-t-il remarqué qu’elle aussi, avait perdu sa mère ? Elle ne le sait pas, alors elle continue ses excès, de plus en plus. Elle découvre le sexe. Tôt. Très tôt. Elle n’a que treize ans.  A treize ans,  on est encore une enfant. Mais, dans sa tête, elle a l’impression de ne jamais l’avoir été. Elle cherche l’amour auprès de ceux qui veulent bien lui en donner, puisque lui, son père, il refuse de le faire. Mais c’est une illusion, qui repart aussi vite qu’elle est venue. Alors, elle la recherche, encore et encore. Et ce qui devait arriver arriva. Elle tombe enceinte. Elle a un enfant, à seulement quatorze ans. Elle n’est encore qu’une enfant, et pourtant, elle vient d’en avoir un. Contre toute attente, son père sait gérer la situation. Il l’aide, réellement. Peut-être se remet-il en cause, peut-être comprend-t-il qu’il aurait pu éviter la déchéance de sa fille. Elle ne le sait pas, parce qu’ils n’en parlent pas. C’est comme ça, chez eux.  Mais elle change, Olivia. Elle devient responsable, grâce à son père, grâce à sa file. Elle l’a appelée Nirvana, en hommage à son groupe de musique préféré. Son père tente de l’en dissuader, mais pour la première fois de sa vie, Olivia sait ce qu’elle veut. Enfin, elle a l’impression d’avoir une famille. Elle l’aime, sa fille. Elle ne vit que pour elle. C’est parfois difficile, de concilier ses études, sa vie, et Nirvana. Mais elle y arrive, et elle crée une relation intense avec son petit ange. Fusionnelle. Elle passe son temps avec elle. Elle dort même avec elle, chaque soir. Elle veut être présente pour elle, lui donner ce qu’elle n’a pas pu avoir. Elle veut la préserver d’un monde dont elle ne connait que trop bien les vices. Elle veut aussi lui offrir une vie parfaite, loin de celle qu’elle a eue. Elle se lance dans des études de droit. C’est difficile, mais elle s’accroche, parce qu’une détermination sans faille résulte nécessairement de cette vie particulière qu’elle a eue. A vingt et un ans, elle affronte la mort de son père, tué en pleine rue par un homme durant un règlement de  comptes qui a mal tourné. Elle fait son choix, elle sera avocate pénaliste. Pour rendre justice à son père, et à toutes les victimes. Avec beaucoup d’efforts, elle y parvient. Elle sait s’imposer, Olivia. Elle a développé une assurance incroyable, beaucoup de force, aussi. Elle réussit à se trouver une place, loin des tourments de sa jeunesse. Très loin, trop loin  même, se forçant à devenir une autre femme. Plus stricte, plus froide, plus autoritaire. La vie lui apprend à devenir une autre, elle en est presque contrainte, même si quelque part, le feu qu’elle cache en elle ne demande qu’à sortir. Mais elle ne veut pas la réveiller, pour Nirvana. Elle a besoin d’une vraie mère, une bonne mère. Seulement à trop chercher à la préserver du monde, elle commence peu à  peu à la perdre. Nirvana grandit, s’émancipe. Elle a vingt-deux ans, mais Olivia la traite toujours comme une enfant. Elle ne la comprend pas, sa fille. Elle ne saisit pas la chance qu’elle a, de pouvoir encore jouer ce rôle d’enfant, auquel elle n’a jamais pu avoir le droit. La relation se distend, les liens se rompent. Sa vie lui échappe, même si au fond, elle ne lui a jamais appartenu. Olivia a trente-six ans, une vie déjà bien trop remplie, mais une vie qu’elle n’a jamais pu réellement vivre. Mais pourtant, elle ne demande que ça, une chance de vivre, enfin.