Parfois, ses hormones lui jouaient des tours. Comme à toute femme un jour, parfois, selon les périodes. Mais cette dernière semaine s'était avérée animée, en toute solitude comme la majeure partie du temps depuis environ dix ans, mais ça ne diminuait pas la façon dont ça pouvait être perturbant. L'origine de tout ces troubles était encore plus perturbante, cette chaleur omniprésente avait été provoquée par le patient Morris, et aucun des deux n'était allé plus loin dans leur exploration, ils avaient du cesser et ravaler leur excitation comme deux gamins. Depuis, ils ne s'étaient pas vus, chose normale étant donné qu'ils ne se voyaient qu'une fois par semaine dans un contexte tout à fait professionnel, mais ce jour-ci, vendredi, comme tout les vendredi, ils allaient devoir se revoir.
Si le bassin d'Antonina avait une fâcheuse tendance à frissonner à la pensée de ce rende-vous prochain, l'esprit du médecin, lui, s'était rondement entraîné à ne pas stresser ni fauter une seconde fois. Cette consultation était à prendre au sérieux sous tout les angles.

Quand Mademoiselle Curtis ouvrit la porte du cabinet, elle apparut avec une queue de cheval travaillée, un chemisier bleu/violet au motif serpent, une jupe en cuir noir et des escarpins noir, aucun patient ne pouvait, comme toujours, mettre en porte-à-faux l'apparence toujours correcte du médecin. Elle remercia la jeune femme qui était venue la voir avant de se présenter dans la salle d'attente.

- Monsieur Morris.

Lança-t-elle aimable et professionnelle avant de le laisser rentrer dans le cabinet et refermer la porte derrière lui.

Un. Deux. Trois.

Calme toi coeur, aucune raison de t'angoisser, il suffit d'agir normalement et de s'installer, comme d'habitude, derrière le bureau, ce que faisait très exactement Antonina à ce moment précis.

- Tu vas bien ? Je vais pouvoir t'enlever le plâtre aujourd'hui.

Sans aucun sous-entendu.  


 

Il n'est pas bien bavard Riley, ce n'est ni particulièrement rare ni particulièrement normal, mais Antonina avait à ce moment des prédispositions à tout interpréter, et elle faisait alors son possible pour ne pas le faire et juste mener sa consultation le plus normalement possible.
Quand il tend son bras pour qu'elle lui ôte son plâtre, la jeune femme n'a même pas "l'envie" de le rediriger vers la partie plus "médecine" du cabinet, pas avec les souvenirs qu'ils y avaient laissés. Elle se leva alors pour prendre le nécessaire et se réinstalla. Alors qu'elle entreprit de couper son plâtre, Riley se décida enfin à prendre la parole. Bien évidemment il remit les événements passés au goût du jour ce qui était certes attendu par Antonina mais surtout redouté.

- Oui.. oui..

Répond-t-elle d'abord, distraitement, le temps de terminer ce qu'elle faisait et de nettoyer le bureau.

- Mais puisque tu en parle.. Je pense pas que.. C'était pas judicieux. C'était pas à faire.

Elle aussi y avait longuement pensé, et elle avait eut assez d'heures pour replacer ses convictions dans leurs cases et s'auto-convaincre que ça avait été stupide. Elle avait eut le temps de laisser la crainte de l'inconnu s'installer, et se conforter dans sa condition plutôt qu'à sauter sans réfléchir dans une nouvelle.
Il avait huit ans de moins qu'elle, il avait un look de grunge et une politesse d'ado-rebelle, elle le voyait tout les jours et elle savait que si elle craquait une fois, ce qui semblait "donnant-donnant" pouvait tout aussi bien lui retomber dessus. S'il te plaît Riley.. oublie..

Antonina le fixe sans savoir quoi ajouter. C'était pas à faire, mais ensuite ? Se contenterait-il de ça ? Peut-être que changer de sujet lui ferait comprendre, peut-être que remettre les priorités à l'ordre du jour le stopperait dans ses entreprises et ferait cesser cette perpétuelle chaleur ardente qui la grignotait.

- Je suis censé faire un check là.

Sur ces mots, elle se relève, comme d'habitude, pour passer à la table, prête à cette fois-ci ne laisser aucun prétexte au dérapage.
 

Bien évidemment, le sujet ne pouvait pas être ainsi balayé, et Riley montrait sans ménage sa volonté de ne pas être ainsi "balayé". Lorsqu'elle senti sa main sur son avant bras, aucune surprise, juste un temps d'arrêt avant de se retourner vers celui qui la surplombait même lorsqu'elle portait des talons. Ce n'était pas la première fois qu'elle le remarquait, mais c'était la première fois que cet écart de taille rendait à ses yeux le jeune Morris plus.. "homme". Notion quelque peu floue et légèrement sotte mais pourtant au centre du moteur de l'attirance nouvelle qu'avait pu éprouver la jeune femme.
Lui sauter dessus ?

- ..S'il te plaît tes regards.. tes sous-entendus..

Commença Antonina, pas tout à fait d'accord avec le fait que tout lui retombe dessus alors qu'il avait tout fait pour. Mais le débit de paroles de Riley ne lui permettait pas de réellement parler.

- C'est pas ça..

Lâcha-t-elle seulement avant qu'il ne la lâche.
Ses yeux ne quittaient pas ceux de Riley, la façon dont il était perdu la troublait un peu, c'était pas censé n'être qu'une histoire de sexe ? Pourquoi ça menait à ce genre de tensions ? Oui ou non il lui avait laissé le choix, pourquoi ne pouvait-il pas s'en contenter ?
C'était plus ou moins ce qu'elle se demandait, bien qu'il était en soit tout à fait évident que Riley pouvait s'offusquer, ce pseudo-accord demeurait humain, il n'était ni en plastique ni gigolo, et faire comme si de rien n'était ne semblait alors pas envisageable.

- Okaaay, he, Riley !

Suivant son patient, Antonina se posa devant lui.

- J'ai merdé. D'accord ? C'est pas parce que je le fais que c'est judicieux, je suis pas en train de t'accuser de quelque chose.

Se rapprochant un peu plus pour parler plus bas et être tout à fait sûre que ce qu'elle dirait serait inaudibles pour les personnes extérieures et parfaitement mémorable pour Riley elle poursuit :

- J'aurais pas du.. mais tu ne m'as pas facilité la tâche. Ca va nous mener où ..? Je te vois toutes les semaines, t'es mon patient depuis cinq ans, on.. je peux pas.. Je vois même pas où ça va me mener de faire ça, un instant de plaisir pour quoi ensuite ? Je..

Elle se déplace un peu pour le regarder dans les yeux, ses paroles distantes et sa proximité physique se contredisant ostentatoirement.

- Je veux me marier en blanc avec l'homme que j'aime.. je ne veux pas un jour regretter de ne pas t'avoir résisté. J'ai merdé.

Toujours cette fixette. Ce rêve de petite fille derrière il est simple de se réfugier, mais si il est si important, pourquoi cette angoisse latente en prononçant ces mots ?
 

Elle est plongée dans une ambiguïté et une contradiction folle. Antonina est à la fois déçue et rassurée à la réaction de Riley. Il ne la comprend pas, ça se voit clairement et ça la touche un peu, elle ne devrait pourtant pas avoir besoin que quelqu'un approuve ses choix et ses priorités, surtout pas lui, mais ça l'aurait rassurée qu'il lui pardonne tout facilement, qu'il comprenne et lui dise qu'elle faisait mieux ainsi. C'était un fantasme mais c'était l'idéal. En contradiction avec tout ça, Antonina était bizarrement déçue que la conversation tombe ainsi à l'eau. Elle qui voulait balayer le sujet, passer à autre chose et était depuis une semaine déjà persuadée de ce qu'elle devait faire et ne pas (plus) faire nourrissait dans le déni un certain espoir : celui que Riley insisterait. Elle l'avait foutu à la porte pour son assurance mal-placée et baissait aujourd'hui les yeux pour son respect.

Sans rien répondre, le médecin commence son examen avant de relever les yeux vers son patient.

- Oui ça serait con.

Ils procèdent à l'examen, machinalement.

- Je sais que tu ne me forcera pas Riley.

Elle lui attrape le menton pour qu'il ouvre la bouche, afin d'examiner celle-ci, mais pas comme la dernière fois.

- Je sais aussi que ça t'échappe un peu.. mes raisons.

Antonina esquisse un léger sourire avant d'attraper son avant bras, vérifiant une dernière fois que tout va bien à ce niveau et que le plâtre a été efficace. Techniquement alors, la consultation était terminée.

 

Ils ont rarement eut une consultation si "froide", la distance de Riley, provoquée par les paroles d'Antonina, était tout ce qu'elle recherchait et tout ce qu'elle avait pu souhaiter. Et pourtant il lui était nécessaire d'avoir à se remettre les idées en place. La situation s'était drôlement inversée, ce qui lui semblait quasiment inconcevable des semaines auparavant devenait désormais son propre désir. Elle se retrouvait même presque frustrée à l'idée qu'il lui avait fallut une simple provocation de sa part pour embrasser Riley tandis qu'il se montrait plus résistant ce jour-ci. Définitivement, Antonina était on ne peut plus perdue quant à ce qu'elle voulait ou non.
Réinstallée à son bureau, la jeune femme avait déconnecté son esprit jusqu'à ce que la voix de son patient se fasse entendre.

- Hm ?

Elle releva ses yeux vers Riley, l'air à moitié présente, écoutant ce qu'il disait, exerçant un effort personnel assez grand pour se concentrer avant d'esquisser un léger sourire.

- Euh.. oui oui pourquoi pas. C'est sympa, je passerais.

Antonina ne savait pas vraiment à quoi pouvait ressembler une soirée chez Riley, elle n'avait pas non plus spécialement l'impression que ce soit le genre de soirées auxquelles elle avait l'habitude de se rendre, mais elle trouvait l'idée amusante. Ça lui changerait et puis elle n'avait pas l'habitude de refuser les invitations, question de politesse.

- Je viendrais oui.

C'était donc la fin de la consultation, et sans doute le début d'une nouvelle relation médecin/patient , normale à nouveau mais avec quelques souvenirs et préoccupations étranges.

- Bon eh bien, rentre bien et prend soin de toi.

Elle se leva pour le raccompagner à la porte, comme toujours.