Je me souviens encore lorsque ma famille et moi-même étions sur le point de partir de notre pays en guerre. Je n’avais que 10ans et je devais être livide, encore plus que ce que je ne suis de base. Le silence trônait dans la voiture, même ma petite sœur de 6ans semblait comprendre les tensions qui régnaient dans notre pays et notre intérêt à passer cette foutue frontière. Je me souviens avoir pleuré de soulagement quand nous les passions sans encombre. Nombreux étaient les familles qui quittaient notre pays. C’était en Décembre 1998 et j’ai l’impression d’être encore soulagé que tout se soit aussi bien passé. C’est vrai, j’ai beau être raleur, je chérie la vie que j’ai en Amérique et me dit que nous serions peut-être morts à l’heure qu’il est si on avait été repérés. J’ai compté plusieurs oncles, tantes, cousins et cousines dans les civils tués. Les noms ont mis du temps à arriver sur les registres. Mais ils ont fini par y apparaitre, mettant fin petit à petit à nos espoirs.
Je me rends compte que j’ai eu de la chance de naître dans cette famille. C’est idiot, dit comme ça. J’aurai pu dire la même chose si j’étais né dans une famille avec un parent espagnol par exemple. Mais ma mère était une native américaine, ayant pris le nom de mon père en se mariant avec, m’ayant quelques années plus tard et 4 ans encore après, ma petite sœur. Dans tous les cas, le sang américain de ma mère et sa tendance à beaucoup voyager entre son pays natal et le pays de mon père permis à notre famille de nous installer sur le territoire américain. Merci la carte verte. Merci à mon père, ce brave homme qui fit tout pour s’intégrer, pour remplir ces fichues conditions, pour nous éviter la guerre, pour que nous puissions avoir un pays où vivre. Pour que nous puissions être adoptés par cette Amérique. Finalement, un peu plus de 3ans après notre arrivée, mon père était naturalisé et par conséquent, ma sœur et moi également.
Je n’avais aucune connaissance de la langue anglaise. Le chemin scolaire fut donc long et pas forcément toujours agréable. Je faisais peur avec les mots que je « crache » comme me disent beaucoup d’américains qui m’entendent parler ma langue natale. Et les coutumes américaines et kosovares sont à deux lunes l’une de l’autre. Mais j’y arrivais. Ce pays ne me déplaisait pas. Au contraire. Après l’obtention de mon diplôme précédent l’université, je me suis même inscrit à l’armée. J’avais ce besoin de bouger, de discipline, de faire quelque chose de mes journées. Les études n’étaient pas mon truc et je ne savais pas ce que je voulais faire plus tard. C’est au bout de 2 années à l’armée que je me pris à vouloir devenir agent cynophile. J’aimais les animaux, comme tout le monde je crois. Mais de là à travailler avec. Jamais. Et pourtant.
Je suis resté 5 ans à l’armée en tout et pour tout. Montrer les gardes ne m’intéressait pas en fait. Mon envie de discipline était passée. J’ai été libéré honorablement de l’armée et j’ai finalement repris mes études. Ça m’avait mis du plomb dans la cervelle je crois. J’avais besoin d’une certaine maturité pour me rendre compte que sans les études, je ne serais rien en quittant le corps militaire. J’avais alors 23 ans quand j’ai repris mes études. Dans la vente. Ca peut paraitre ridicule mais après m’en être pris plein la gueule par mes supérieurs, je voulais un travail calme. Serein. Et ça a été le premier cursus qui m’a sauté aux yeux. A me lire, vous pouvez vous dire que je n’ai aucun rêve. Et c’est le cas. Je vis. Je trace ma route, empruntant divers chemins, aussi variés qu’étranges.
Après être resté quelques mois chez mes parents, je finis par prendre mon envol pour Jacksonville, en Floride. Je ne savais pas pourquoi cette ville exactement. Mais mon cursus scolaire se trouvait dans une de ses universités. Tout simplement. Pourquoi pas ? Figurez-vous que là-bas, j’ai appris que la vente était aussi quelque chose de rude des fois. J’en ai souvent ri. Moi qui avait fait l’armée pendant 5ans, je trouvais quelque chose de rude. Cette blague. Mais je crois que la pire blague qui subsista, fut lorsque j’ai craqué pour cet étudiant. Et je parle d’un mec.
J’aime ma famille. Et elle aussi. Si nous ne sommes pas une bande de joyeux lurons, mon père est aux petits soins avec sa famille, tout comme ma mère. Ne parlons pas de ma sœur et de sa folie que je partage. Mais je ne sais pas si c’est la mentalité de notre pays ou la mentalité de mon père et des siens, mais l’homophobie tronait. Mes grands-parents étaient pires. Ils avaient coupé les ponts avec leur fils le jour ou il se maria avec ma mère. Les Kosovars restent entre kosovars qu’ils disaient. Ou encore les Kosovars suivent la logique de la nature. J’en ai entendu des belles des phrases à la con. Et je crois que si je n’avais pas grandi aux Etats-Unis, entouré de marginaux et de personnes en tout genre, j’aurai pris la mentalité de mon père sur les points cités au-dessus. Je ne lui en veux pas, il n’est pas responsable de son éducation. Tout comme il n’est pas responsable de mon attirance pour ce gars.
J’en avais parlé à ma sœur. Et à part me ramasser des remarques signifiant que c’était l’armée qui m’avait rendu bisexuelle, elle ne m’aidait pas du tout. Bon, ça me faisait quand même bien rire ses logiques douteuses, et ça me faisait du bien d’avoir quelqu’un à qui en parler. En parler à ce garçon ? Pas vraiment. En fait, c’est de manière aléatoire qu’on a finit par se parler un jour ou on partageait un cours de langue. Pas de blague, ma sœur me l’a déjà faite. Ne vous rabaissez pas à son niveau. Sinon, pour en revenir à mon histoire, manque de bol, lui était gay. Manque de bol parce que j’aurai pu me dire que ce n’était qu’une faute et que ça allait s’arrêter là, tout simplement. Mais non. Il a fallu qu’il soit attiré par les hommes et qu’il joue avec moi. Je n’avais eu qu’à lui dire le mot « armée » pour qu’il se dise que j’étais comme lui. Mais bordel, c’est quoi ce stéréotype ? Peut-être que s’il était resté ignorant à ce sujet-là, même pas il n’aurait essayé quoi que ce soit avec moi. Il n’aurait pas profité qu’on soit alors seuls dans la bibliothèque pour passer ses mains sur ma nuque et voler mes lèvres. Je me souviens l’avoir repoussé et m’être enfuit. Je n’étais pas homophobe, loin de ça. Mais pas de ça avec moi. J’avais le droit d’éprouver ce genre de conneries pour un gars. Je me l’autorisais. Mais je ne voulais pas que ça aille plus loin que le mental. Mon père comptait sur moi. Ou en tout cas, il comptait sur moi pour ne pas que je dérape dans la vie. Et s’il n’était pas au courant de ça, c’était un joli dérapage qu’il n’aurait jamais pu encaisser.
Mais la fuite ne me mena à rien. Il revint au galop. S’excusant. Se disant qu’on pouvait rester potes. Qu’il me comprenait. Et je le croyais. Pour oublier tout ça, je me mis à sortir intempestivement avec de nombreuses filles. C’était ma barrière protectrice face à ce débordement. Ça me rassurait. Mais dès que je me retrouvais n’était-ce que quelques jours célibataires, je recommençais, et lui aussi. C’était physique. Deux aimants. Et j’avais beau le repousser, je ne me rendais pas compte que notre amitié évoluait. Ça devenait quasiment un jeu de repousser l’autre.
Puis il y a eu facebook. Ah, ce réseau social. La chose qui a ruiné ma vie, et celle de ma famille. Avec ces abrutis postant les photos de soirées sur leur mur en « public ». C’était en pleine fête avec notre cercle d’amis, que tout se joua. Un cercle d’amis restreints, qui étaient au courant pour lui et moi. Donc poster une photo avec en arrière-plan lui et moi dans les bras de l’autre. Ca n’a pas fait long feu. Ma sœur a aimé. Mon père a vu. La ruine de ma famille. De ma vie. Ma famille me rejeta. Ou du moins, mon père, aka le chef de famille. Ma mère ne fit que le suivre par amour, se disant que je n’avais pas besoin d’eux et qu’elle n’avait pas à subir mes bêtises. Seule ma sœur resta à mes côtés, mais se cachant.
J’en ai voulu à la terre entière je crois. J’ai vécu reclus de ce groupe d’amis durant plusieurs mois. J’ai même changé de téléphone et ignorait royalement ces idiots dans les couloirs. Même lui. Ils avaient ruiné ma vie. Ma famille était tout pour moi. Et être rejeté après un passé commun aussi douloureux semblait tellement superficiel. On avait survécu à la guerre, merde ! Et pour une photo ne dévoilant rien d’autre qu’un garçon jouant avec un autre, je me retrouvais seul. Malheureusement pour moi, j'étais loin de la fin de mes études. Ma situation resta comme telle pendant plusieurs mois qui se transformèrent en année, avant d’avoir finalement ce fichu diplôme en poche. A partir de ce moment-là, mon plan était tout tracé. Me casser. Loin. New-York avait été ma prochaine lubie. Les débuts furent difficiles il faut dire. Mais je n’ai pas été seul dans l’affaire. Bien que peu renfermé sur mon ordi, j’avais quand même mes contacts sur la toile. Même des amis. Surtout un en fait, rencontré de manière hasardeuse il y a quelques années. Félix. Ce cher Félix, à qui je dois certainement ma santé mentale. Cette main virtuelle qui se tendit après mes examens, cette épaule virtuelle sur laquelle je m'étais déjà appuyé maintes et maintes fois dans mon passée. Ne m'attardant pas sur les détails, j'avais omis que New-York était son terrain de jeu.
Mais dans un ordre logique, je devrais plutôt parler de River. Une amie d'enfance. Parce que oui, quelqu'un que l'on connait à 10ans, vu mon âge, est vue comme une amie d'enfance. J'avais atterri dans sa ville, à Bâtons-rouge. Et c'est tout simplement de là-bas qu'une amitié est née entre nous. Une amitié qui a perduré dans les années, même lors de mes jours passés à l'armée. A vrai dire, ce fut-elle qui me tendit en premier la main en m'accueillant à New-York après tant d'années sans s'être vus. Un lit accueillant, un sourire chaleureux, une amitié flamboyante. Je lui dois beaucoup de choses aujourd'hui. C'est normal, dira-t-on. Tout aussi normal que de vouloir la remercier. Et si j'ai trouvé mon boulot dans cette animalerie aujourd'hui, si j'ai mon propre appart' que je partage avec mon cher Félix, tout ça, c'est grâce à elle. Et je compte bien rattraper toutes mes années loin de ces deux belles âmes, décidé à leur prouver toute ma gratitude, jusqu'à la dernière goutte.