Une journée de plus qui se termine à l’université. Il n’est que quatorze heures trente mais, j’ai terminé mes cours pour aujourd’hui. J’ai une énorme pile de copies à corriger et rien que de la regarder, me narguant au coin de mon bureau, me désespère déjà. Quelles sont les âneries que mes chers élèves, vont avoir pondu sur leurs copies ? C’est la surprise du chef ça ! Je soupire longuement et me laisse tomber contre mon dossier avant de me masser les tempes. Je suis épuisé… Quand il faut y aller, il faut y aller comme on dit. Je me redresse et récupère mes affaires, les rangeant avec soin dans ma mallette de tissus. Je dépose mon manteau sur mon avant-bras et sors de la salle. Les couloirs se vident peu à peu et je dois réprimander quelques élèves qui traînassent : « Il me semble que votre salle de cours n’est pas de ce côté… Et je doute que le Professeur Cauldfield soit enclin à être conciliant… Dépêchez-vous si vous ne voulez pas voir la porte vous claquer au nez ! » Ils me fixent tous penauds avant de filer au pas de course en direction de leur prochain cours. Je souffle longuement, s’ils ne veulent pas suivre tous les cours, autant n’en suivre aucun, ça me paraît logique. Je fais un bref passage dans la boulangerie du coin, prenant quelques viennoiseries et un grand café latte puis, regagne la salle des Professeurs. Je salue poliment mes quelques collègues présents et accroche mon manteau avec ceux des autres avant de m’installer à ma place habituelle. Je sors mes copies puis soupire encore : « Une journée difficile Ethanaël ? » Je regarde mon collègue et lui souris : « Oui un peu. J’ai eu l’impression de faire cours à des babouins dégénérés. Du coup, je leur ai collé un contrôle surprise mais, j’ai bien peur que la notation ne soit laborieuse…. » Au moins, j’ai fait rire mon collègue ! « Bon courage alors. » Je le remercie alors qu’il quitte la salle. En voilà un de chanceux, il n’a plus cours avant deux jours. Je chausse mes lunettes et remonte mes manches avant de saisir mon stylo rouge : « Bon alors, voyons ça… » Bonjour les inepties, au revoir tranquillité.

Nul. Sans intérêt. Dénué d’intelligence et encore j’en passe et des meilleures ! Je suis démoralisé face à tant de bêtises alors que je n’en suis qu’à la première copie. Je soupire longuement : « Salut. Bientôt Noël. » Je redresse la tête et souris timidement à mon interlocutrice. A chaque fois que l’on se croise, elle et moi, la timidité nous empote et cela donne des situations cocasses, on dirait deux adolescents lors de leur premier rendez-vous. « Oui, visiblement, le vieux barbu a décidé de bien me gâter cette année. Seulement, je n’aime pas spécialement ses petits présents… » J’ose prendre un des dragées qu’elle a déposé en centre de table, et je suis suivi par d’autres collègues qui finissent par rester un peu à notre table, parlant de tout et de rien. C’est tout de suite bien plus agréable quand il y a des friandises à table. Il faut que je garde l’idée en tête pour plus tard. Très vite, les précieuses dragées disparaissent, ne laissant qu’une boîte éventrée et vide. Je salue nos collègues qui doivent aller assurer leurs cours et regarde tristement la boîte : « Quelle belle bande de goinfres… A l’avenir il faudra au moins un camion de friandise pour contenter tout le monde. » J’essaye d’entamer la conversation mais je me trouve particulièrement idiot, et terriblement pathétique. J’ai perdu l’habitude de converser avec une femme et, je ne suis pas sûr que cela s’arrange avec le nombre des années. Je me racle discrètement la gorge et jette un léger regard à ma collègue. Il me semble bien que son prénom est Louise. Elle n’est pas professeure mais intervenante. « Et donc euh… tu viens souvent ici… ? » Je suis nul. Je le sais qu’elle est là régulièrement puisque je la croise dans les couloirs, sans jamais osé l’aborder. Je ne sais pas pourquoi je suis tant gêné mais j’espère sincèrement que je vais arriver à m’ouvrir un peu.

Etrangement, Ethan la mettait à l’aise. Sûrement parce que comme elle, il avait des difficultés à s’ouvrir aux autres. En fait, ils étaient aussi nuls l’un que l’autre. Il n’y avait pas grand-chose de naturel qui sorte de leur bouche et c’était assez cocasse et drôle. Elle hocha la tête et sourit. « Heureusement que ce n’est qu’une fois par an alors ! » Pour sa part elle avait décidé de ne pas le fêter. Le dernier qu’elle avait célébré c’était avec ses parents et son ancien fiancé et elle ne tenait pas franchement à se le remémorer. Elle observa autour d’elle tout le monde se jeter sur la boîte et ne fit aucun commentaire à ce sujet mais si elle trouva ce comportement assez malpoli, voire grossier de la part d’adultes censés montrer l’exemple. Elle fit une petite grimace voyant qu’ils n’en restaient pas d’autres pour eux deux. « Ou bien je les garderai égoïstement. » Répondit-elle amusée, puis elle se rendit compte de son erreur et ajouta bêtement. « Pour nous deux. » Elle prit le sachet et alla le jeter et lorsqu’elle revint s’assoir elle s’aperçut qu’elle avait définitivement empêché son collègue de travailler. Elle hocha la tête. « Oui, je viens deux fois par semaine en général. Je suis intervenante en chirurgie. » Elle regarda autour d’elle, ils restaient quelques collègues un peu éparpillés. « Est-ce que… on pourrait… » Elle chercha ses mots. En général elle fuyait les hommes et c’était devenu totalement naturel pour elle de se tenir à distance, c’était évidemment moins dur quand les autres faisaient le premier pas. « Aller boire un café un peu plus convenable ? » Elle avait surtout envie de quitter la salle et elle regarda son diaporama qui s’était ouvert et qu’elle allait devoir revoir car il ne lui convenait pas. Elle était sûrement trop pointilleuse.

Je crois que je vais laisser tomber les corrections pour aujourd’hui. Il y a bien plus intéressant à faire. Je range mes copies, les fourrant négligemment dans mon sac que je referme. « Heureusement que ce n’est qu’une fois par an alors ! Ou bien je les garderai égoïstement. Pour nous deux. » Je souris, un peu gêné. Pourquoi suis-je autant gêné et maladroit avec elle ? Je n’ai aucune raison de l’être. Je reporte mon attention sur Louise, l’écoutant : « Oui, je viens deux fois par semaine en général. Je suis intervenante en chirurgie. » Oui voilà, c’est ça mais je n’arrivais pas à me rappeler. « Est-ce que… on pourrait… Aller boire un café un peu plus convenable ? » Je me sens bêtement rougir. Bon sang ! J’ai vraiment perdu l’habitude de tenir conversation à une femme je suis vraiment un imbécile. « Euh oui…heurm’ pourquoi pas ? Et puis euh… Et puis ça nous permettra de… faire connaissance hors du cadre professionnel. » Pour confirmer mes dires, je me lève, m’entravant de manière totalement idiote dans mon lacet défait. Mon sac tombe et s’ouvre par je ne sais quelle magie, déversant sur le sol toutes mes copies : « Bor… Bon sang ! » Ma langue a failli fourcher. Je passe nerveusement ma main dans mes cheveux et m’agenouille pour ramasser le contenu de mon sac : « Je suis vraiment maladroit… » Mes mains tremblent, rendant mes gestes totalement anarchiques et saccadés. Je me redresse quelques instants et souffle un grand coup avant de recommencer mon rangement. Elle droit me trouver totalement stupide. Bon, reste zen Ethanaël, c’est juste un café entre collègues de travail, il n’y a rien de bizarre à ça. Enfin je ne crois pas. Je finis rapidement de ranger mon bazar et me redresse, me cognant la tête sous la table. Je crois que je ne peux pas être plus crétin. Bravo Ethan !

Elle regarda la réaction de son collègue et elle comprit qu’elle l’avait parfaitement mal à l’aise. Ce n’était sûrement pas une si bonne idée mais d’un autre côté il avait tout de même accepté la sortie, c’était trop tard pour reculer maintenant. Et puis de toute façon ça ne les engageait à rien. Par contre lorsqu’il commença à enchainer les maladresses Louise le regarda, la bouche ouverte amusée de la situation. Elle se baissa pour ramasser les documents avec lui et quand il finit même par se cogner la tête, elle se mit à rire. « Laisse, arrête. Je vais ramasser ! » dit-elle tout en continuant à rire. Elle attrapa les copies et en fit une pile qu’elle reposa sur la table en se relevant. Quelques années plus tôt elle lui aurait tendu la main pour l’aider à se relever mais elle ne supportait plus le contact physique… « Prends pas ça pour une obligation… » ajouta-t-elle finalement. Elle replia son ordinateur et le rangea de nouveau dans sa pochette. Elle voulait juste s’éloigner d’ici mais d’un autre côté ça semblait les mettre dans une position fort délicate et elle ne pouvait pas en vouloir à Ethanaël pour sa réaction. Sa proposition était inattendue. Elle ne savait pas quoi ajouter tant la situation la mettait maintenant mal à l’aise à son tour. « Ecoute, j’ai proposé ça, parce que ça fait un moment que je… me dis qu’il serait temps de sociabiliser. Ici. » Elle porta sa main à sa bouche et rongea légèrement le bout de ses ongles. Elle se rendait compte qu’il était un parfait cliché : gênée = rongeage d’ongles. Et tenta d’arrêter. En ce moment la magie de Noël s’abattait réellement sur la ville et elle avait également pensé que ça pouvait être agréable à voir, plutôt que de rester entre ces quatre murs. Elle avait d’ailleurs envie de goûter le vin chaud que Montreal avait récupéré des traditions françaises du Nord.

« Laisse, arrête. Je vais ramasser ! » Je me redresse, massant ma tête et souffle. Je suis pitoyable, je ne vois pas d’autres mots. « Prends pas ça pour une obligation. Ecoute, j’ai proposé ça, parce que ça fait un moment que je… me dis qu’il serait temps de sociabiliser. Ici. » Je la regarde, un peu en panique. Je ne voulais pas la froisser avec mon attitude désastreuse. J’attrape sa main gentiment et lui souris : « Je ne prends pas ça pour une obligation, ça me ferait plaisir de boire un café avec v… toi. Alors, rangeons tout ce bazar et fuyons ce lieu exécrable ! » A deux, ça va plus vite et en moins de temps qu’il n’en faut pour dire café, nous terminons de ranger le tout. « Bien, et si nous allions le boire ce café ? Très loin d’ici ? » On dirait que je me suis détendu mais c’est faux. Au fond de moi, je tremble de partout et j’ai peur. « Tu as une idée d’endroit pour être tranquille ? » Quand j’y pense, ma phrase peut-être mal interprété, même si, selon certains de mes collègues il serait temps pour moi de refaire ma vie. Il serait temps pour moi de sortir et de tisser des liens. Seulement, j’ai toujours le souvenir de mon épouse dans le cœur. Il est gravé dans mon âme et je n’arrive pas à l’en désincruster. Et puis il y a aussi le souvenir de ma fille… ma jolie princesse Aurora. C’est dur de se dire que plus jamais je ne les reverrais. Je baisse la tête tristement, repensant à tout ceci avant de remarquer que quelques larmes fuitent sur mes joues. Je redresse la tête et les essuie rapidement : « Euh bon… On y va ? » Je contourne gentiment la demoiselle et m’avance jusqu’à la porte en l’attendant. Je ne sais pas qu’est-ce qui va découler de cette sortie improvisée mais, je vais essayer de bien me conduire.

Elle acquiesça mais lorsqu’il la toucha, la demoiselle eut un léger mouvement de recul qu’elle réussit à refreiner par peur qu’il ne le prenne ça personnellement. Ce devait être naturel pour lui, quelqu’un de tactile au demeurant. Louise avait du mal avec le contact humain et c’est quelque chose contre lequel elle tentait de se battre tous les jours. Bien sûr il n’était pas au courant et elle ne tenait pas à ce que ça se sache ou qu’il prenne cela comme une offense. Du fait elle lui fit un sourire un peu particulier et elle hocha la tête. « Avec plaisir ! » La jeune femme qui a déjà rangé ses propres affaires commence à repositionner son manteau et son écharpe. En ce moment il fait un froid polaire à Montreal, le type de température qui vient jusqu’à vous ronger les sangs. Qui s’insinue en vous comme une sale maladie. « Oui il y a un salon de thé/jazz pas très loin, ça pourrait être très sympa. Comme ça on peut y aller à pieds. » Elle avait bien envie de prendre l’air et même de sauter dans les flaques mais surtout pas de prendre la voiture en tous cas. Elle remarqua le moment d’absence d’Ethan et ne dit rien. Elle se retrouvait en lui et ce n’était pas forcément rassurant. Elle comprenait son mal-être sans pour autant en connaitre la raison. Elle aurait voulu faire un geste vers lui, mais elle en était incapable et elle en avait honte. Elle se haïssait intérieurement de cette incapacité sociale. Elle le suivit alors et tandis qu’il tenait la porte, la jeune femme sortit de la pièce. Les autres collègues n’avaient pu que regarder la scène puisqu’ils avaient fait du bruit au moment où il avait fait tomber ses papiers. Ils les avaient suivi des yeux et c’est pourquoi la jeune femme était bien plus à l’aise maintenant qu’ils étaient à l’abri des regards. Elle n’en fit cependant aucun commentaire. « Ethan, tu… je peux t’appeler Ethan ? » Elle allait dire quelque chose. Sûrement quelque chose de censé, de profond ou peut-être même d’important. Et finalement la question s’était portée sur son appellation, c’était du Louise tout craché ça.