i don't love you

like i did, yesterday.

FICHE ET CODES PAR BROADSWORD.

Brother, if you have the chance to pick me up

J’ai l’impression de m’adresser à des enfants, devant répéter chacune de mes phrases au moins trois fois pour que tout le monde soit satisfait, que tout le monde comprenne. Avec les années, je m’y suis fait, passant de l’irritation au soupir las à chaque main levée, sachant parfaitement qu’avec mon métier, si je n’y fais pas face, je peux tout de suite changer de vocation.
L’écriture au tableau est peu lisible, preuve de mon emportement notoire à chaque explication, et les croquis qui l’accompagnent sont parfois tout aussi compréhensible, ma pensée allant souvent plus vite que tout le reste, mon corps récupérant ainsi un battement de cœur de retard. En quelques mots comme en mille : n’importe qui arrivant en fin de cours serait incapable de saisir le sujet abordé dans la session qui se termine.

Le brouhaha commence avant même que je décide de les lâcher, et mon agacement doit se remarquer à des kilomètres à la ronde si j’en crois les expressions un peu angoissées qui se peignent sur le visage de mes étudiants quand j’ai peine à garder leur attention.
Ils savent parfaitement qu’ils sont à deux doigts de repartir avec un devoir à me rendre pour le lendemain, chose qu’ils ont déjà eu et déjà faite, et dont la difficulté dépend de mon humeur au moment où je leur donne. Certains diraient que j’y vais un peu trop fort, mais il faut être honnête : le système fonctionne, et même les voix qui portent tournent en murmure le temps que je finisse.

Quand ils sortent, le bruit comparable à un troupeau d’énormes animaux m’arrache une grimace, ainsi qu’un profond soupir qui en fendrait la pierre. Qu’on ne s’y trompe pas, j’aime mon métier. Il le faut, pour faire ça depuis des années déjà, sans vouloir tout envoyer balader du jour au lendemain pour devenir pâtissier ou bibliothécaire. Mais voilà, honnêtement, il y a des jours où la fatigue, l’exaspération et l’impatience prennent le pas sur le reste, et la seule envie que j’ai, la seule chose que j’attends sans faillir tout au long de la journée, c’est le moment où je rentre chez moi et où je peux me consacrer un peu plus à mon art sans me soucier de quoi que ce soit d’autre.

Aujourd’hui ne sera clairement pas un jour où je rentrerai tranquillement, à mon grand désarroi. Sa voix me force à déglutir avec peine alors que mon dos se raidit, et je continue de faire face un moment au tableau, peu enclin à me retourner pour pouvoir l’affronter. Bon sang, l’on sait que je me passerais volontiers d’une quelconque discussion avec lui, comme je l’ai fait ces trois dernières années.

« Aies donc l’amabilité d’éviter de m’appeler comme ça, tu en as perdu le droit il y a bien longtemps, déjà. »

Puisqu’à un moment ou un autre, il faudra passer aux choses sérieuses, je me tourne pour commencer à ranger mes affaires dans le sac posé sur mon bureau, la tête baissée, ignorant son regard posé sur moi, bouillonnant intérieurement.  

« Ah oui ?  Et il serait temps de parler de quoi, Sheldon ? Je pense que nos actes en disent bien plus, communiquent bien davantage, que nos mots. Aussi, pour moi, tout a été expliqué il y a trois ans maintenant. Alors parler de quoi ? »

Mes lèvres s’étirent en ce sourire hautain que j’ai adopté il y a des années, le reste de mes traits figés par la colère qui commence à gronder à la simple pensée d’une discussion avec mon frère jumeau. Colère qui s’entend, se ressent, enlacée à la froideur du ton employé, dans le but même de lui faire comprendre qu’il n’est pas le bienvenu.

(c) MEI pour APPLE SPRING

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FICHE ET CODES PAR BROADSWORD.

Brother, if you have the chance to pick me up

Le bruit des pieds de la chaise qui raclent contre le sol me fait relever brièvement la tête, mon regard croisant celui de Sheldon le temps d'un court instant, les muscles de ma mâchoire tressautant. Je me retourne encore une fois, attrapant de quoi nettoyer le tableau pour le laisser presque vierge pour la prochaine classe qui prendra place en ces lieux. Certains y verraient une manière d'échapper à celui qui n'a plus vraiment grâce à mes yeux, mais la réalité est toute autre : Lui échapper demanderait bien trop de participation de ma part dans toute cette histoire, alors même que je refuse simplement d'avoir quoi que ce soit à faire avec lui. L'ignorer est une alternative bien plus alléchante. Mais là encore, je doute qu'il me laisse faire, décidé qu'il est à échanger avec moi.

« Ce que je préférerais, cher frère , » et ces mots sont marqués par le dégoût même qu'ils m'évoquent, me laissant espérer un moment qu'il comprenne enfin que non, je ne souhaite pas parler, pas avec ce qu'il est, ce qu'il est devenu. L'a-t-il toujours été ? J'en doute, mais plus le temps passe, et plus l'on découvre sur les gens que l'on pensait connaître complètement.
« Ce que je préférerais, c'est que tu sois suffisamment loin de moi pour ne pas avoir besoin de me nommer. Voilà, ce qui me ferait plaisir. Mais étrangement, je doute que tu aies la décence de t’effacer. Ça serait trop te demander, n'est-ce pas ? »

Que notre mère haïrait notre échange. Elle pleurerait surement ces fils qu'elle a perdu, qui ont laissé place aux deux hommes que nous sommes aujourd'hui, à peine l'ombre de ce que nous avions pu incarner par le passé. Le silence s'étire, et quelques années plus tôt, je serais surement parvenu à me calmer un peu, à me détendre légèrement, et à converser de manière civilisée avec la énième personne m'ayant trahi. Mais aujourd'hui, les murs sont bien dressés, et les seuls mots qui m'échappent sont ceux que je ressasse en permanence depuis trois ans, ou ceux qui me sont évoqués par celui qui porte mes traits et partage mon sang, mais qui n'a plus rien à voir avec moi.

« Tu veux vraiment parler ? Alors allons-y ! Amusons-nous un peu ! Tu ne me reconnais plus ? Et c'est toi, l'homme qui a failli tuer sa femme et qui est parti en prison, qui me dit ça ? A quoi t'attendais-tu quand tu es sorti de là ? A ce que je te tombe dans les bras, à ce que j'oublie ton comportement ? Sheldon, que tu sois mon frère ne change absolument rien à ce que tu as fait, et ce que tu as fait est méprisable. »

Je ferme mon sac, en passe la lanière par-dessus ma tête pour la laisser reposer sur mon épaule et attrape ma veste, m'avançant vers lui, campant toujours devant l'entrée de la salle dans le but de m'y garder.

« Ce que nous sommes aujourd'hui n'a plus aucune importance, parce que si tu n'es pas mort pour moi, tu n'en es pas loin. Tu veux que je te dise le plus ironique, dans tout ça ? Tu as passé des années à te plaindre de l'absence de notre père, mais tu n'es vraiment pas mieux. Lui, au moins, l'a fait pour un pays qui lui tenait à cœur. Son absence de la maison signifiait qu'il était un héros ailleurs. Toi, tu n'as même pas cette excuse-là. »

Je suis à à peine un mètre de lui, mes yeux affrontant les siens sans faillir, attendant qu'il se déplace ou qu'il décide de me répondre, au choix. Je sais que ce que je dis blesse. Là où Sheldon a toujours préféré la violence des coups, j'ai plutôt tendance à me pencher vers la violence des mots, bien plus frappante.

(c) MEI pour APPLE SPRING