Je suis né il y a tout juste trente ans, en Italie. Si je n'ai aucun souvenir de ma ville natale, c'est parce que je n'y ai vécu que quelques mois. Tout ce dont je me souviens, c'est de mes grands yeux bleus s'ouvrant sur le visage de mon frère, et des bras de ma mère. Je me sentais bien. Je les aimais déjà. Mon père était assez absent, mais ça, c'était avant que l'on déménage tous pour les Etats-Unis, là où il vivait.
Ma mère n'avait eu aucun mal à quitter l'Italie. Elle adorait son pays, mais elle aimait encore plus mon père. C'est surement Vincent, mon grand frère âgé de quatre ans, qui a été le plus bouleversé par ce changement de vie.
On a grandi dans la joie. Je me souviens encore des courses poursuites avec Vince (mon frère n'aime pas qu'on l'appelle Vincent) dans la maison. On rigolait bien tous les deux. On avait beau être des demi frères, c'était comme si l'on avait le même père. Peu m'importait. Il était mon grand frère. Le seul et unique.
Mon père avait beau essayer de voir Vince comme son propre fils, ça n'a jamais été pareil qu'avec moi. J'étais son fils, en plus d'être le petit dernier. Et sans le vouloir, mon père me chouchoutait plus que mon grand frère. Mais je ne m'en rendais pas compte. Je ne me rendais pas compte que Vince était jaloux.
Malgré tout, quand nous étions enfant, Vince a toujours été protecteur envers moi. Je me souviens encore quand nous étions couchés dans notre chambre, et que j'avais peur du noir, et des ombres sur les murs. Je montais ma couette jusqu'au bout de mon nez.
Vince... T'es sûr que peut pas y avoir de monstre?
Il râle un peu.
J'suis fatigué Aron. Peut pas y avoir de monstre, parce que ça n'existe pas.
Le vent frappait dehors, et petit à petit, je m'enfonçais sous ma couette. Alors malgré la fatigue, Vince était venu dormir avec moi. Je m'en rappellerai toujours.
chapitre II : Grandir, mûrir, réussir
Grandir n'avait pas été trop difficile. J'étais bien entouré. Mon père m'apprenait à être bon dans ce que je faisais, à réussir ma vie comme il se doit. Ma mère me chouchoutait, me disait que j'étais beau, et me faisait des plats italiens à tomber. Et mon frère... Je l'admirais, je l'aimais. Mais on s'éloignait doucement l'un de l'autre, sans que je ne comprenne vraiment pourquoi.
A l'école j'étais plutôt bon, depuis toujours. J'aimais travailler, j'aimais la réussite. Ma passion? Les livres. Je lisais tout le temps, et extrêmement vite. Mon rêve était de posséder ma propre librairie, qui tiendrait aussi lieu de petite bibliothèque pour les personnes ayant envie de lire dans un endroit atypique, loin des grandes bibliothèques de centre ville. Une ambiance chaleureuse, conviviale. C'était ce que je voulais mettre en oeuvre. Et je me donnais à fond pour y parvenir.
Alors que j'avais dix-neuf ans, mon frère quitta la maison pour retourner vivre en Italie. La séparation fut vraiment difficile pour moi. Je me rappelle encore l'avoir soudain pris dans mes bras alors qu'il partait, une larme coulant sur ma joue.
J'ai du poursuivre mon chemin sans mon grand frère pour me protéger. J'ai poursuivi mes rêves, me plongeant dans le travail, cherchant à monter ma boutique. J'ai eu quelques aventures avec des filles, très peu à vrai dire. Bien que j'appréciais leur compagnie, j'attendais celle qui sera la bonne, à qui je donnerais tout. Et je ne l'avais pas encore trouvé. En attendant, je préférais me consacrer à mon travail, à mes rêves, plutôt qu'aux histoires d'un soir.
Le travail paya, et avec l'aide de mon père, je réussis à monter ma boutique à l'âge de vingt-cinq ans. Elle était comme je l'avais toujours imaginé. Assez grande mais assez petite pour créer une sorte d'intimité. Il y avait un coin avec des rayons proposant des livres, comme dans une boutique. Puis, derrière une porte vitrée, il y avait le coin lecture. Ce n'était pas exactement comme une bibliothèque. C'était déjà bien plus petit. Il y avait aussi quelques tables, puis quelques coussins au sol, et des "poufs", sur de la moquette. De quoi se sentir comme dans un cocon. J'étais aux anges, et la boutique tournait très bien.
chapitre III : La vie adulte
Il est revenu! Mon frère est revenu! J'étais tellement heureux de le revoir. J'avais envie de partager des tas de choses avec lui, mais il était souvent absent. Pour ma part, je m'étais trouvé un appartement grâce aux économies que j'avais pu réaliser avec la boutique. Je vivais donc chez moi, et j'avais désormais vingt-neuf ans. La boutique tournait toujours aussi bien, et avec ses clients fidèles. J'avais embauché deux personnes pour m'aider. Deux hommes qui devinrent vite des amis, et avec qui on sortait parfois boire quelques verres. Ils faisaient que de m'embêter pour que je me décoince un peu, que je me trouve une petite amie. Mais pour l'instant, ça ne m'intéressait pas plus que ça. Mais ça, c'était avant de la rencontrer, elle. Isabella.
Lire, c'est bien, mais regarder des films, ça l'est aussi. J'étais seul ce soir là, et j'avais bien besoin de me divertir un peu. Vieux jeu comme je suis, je m'étais dirigé vers un des derniers magasins de location de la ville, afin de trouver un dvd. Et j'en avais un précis en tête. Je voulais regarder Shining! Un film culte et flippant. J'adorais. Mais une fois arrivé à la boutique, je vis une jeune fille avec le dvd en main. Je demandai alors s'il y avait un autre exemplaire, et le vendeur me répondit que non.
Ah... D'accord.
La déception était si grande sur mon visage que la jeune femme me proposa de le regarder avec elle. C'est en toute innocence que j'acceptai, le sourire aux lèvres. Finalement je ne verrai pas ce film seul. C'est encore mieux!
On fit un peu connaissance, tout en allant chez elle. On a regardé le film ensemble, faisant quelques commentaires, riant. Et petit à petit, même très rapidement, on est tombés fou amoureux l'un de l'autre. On a eu notre premier baiser devant Shining, et notre premier vrai rancart un peu plus tard. On est vite devenus le couple parfait. Le monde nous enviait. Jamais on ne se disputait, jamais on était en désaccord avec l'autre. On vivait une harmonie parfaite, qui rendait jaloux la plupart, qui dérangeait certains autres... Comme mes deux collègues de travail.
Genre, vous vous disputez jamais? Jamais jamais?
Je riais.
Non jamais.
C'est pas super sain comme relation.
C'est même carrément louche.
Ils sont jaloux. C'est tout. J'en suis convaincu. Lors d'une soirée à boire tous les trois comme on le faisait souvent, ces abrutis m'ont lancé le défi d'inviter une fille à danser.
Vous êtes vraiment débiles.
Aller! Lâche toi un peu monsieur l'coincé!
Je suis pas coincé! Je suis fiancé!
Et alors? C'est juste pour se marrer! Aller!
J'ai fini par le faire, pour leur prouver que j'étais pas le type complètement coincé qu'ils croyaient. Je suis allé inviter une demoiselle à danser. Elle s'appelait Avery. Et j'ignore pourquoi je m'étais senti si étrange au fur et à mesure que l'on dansait. Comme perturbé par... Elle. Mais je suis fiancé. Je n'ai pas le droit à de telles pensées.
chapitre IV : Plus rien ne sera jamais pareil
Désormais, Isa et moi étions fiancés. J'avais fait ma demande au bout de sept mois de relation, dans un restaurant chic. Et elle avait accepté. J'étais tellement heureux. La prochaine étape était de la présenter à ma famille. J'étais sûr qu'il l'adorerait. Mais avant, je voulais la présenter à mon frère. C'était important pour moi.
Alors j'ai appelé Vince, et j'ai insisté pour qu'il libère un peu de son temps, pour que je puisse lui présenter la femme de ma vie. Ce que j'ignore, c'est que Vince et Isabella se connaissent déjà. Et que Vince a un sacré faible pour elle... C'est donc tout naïf que je reçois mon frère à mon appartement et lui présente Isa. On passe la soirée tous les trois, on se bécote de temps en temps avec Isabella. C'était la routine pour nous. On était tellement amoureux. On en devenait extrêmement clichés aux yeux des autres. Mais j'ignorais que j'étais entrain de briser le coeur de mon frère, que j'avais nourrit sa haine envers moi pour toujours.
Un soir, je rentrai tard du travail après avoir fait l'inventaire de la boutique. Il faisait nuit, je rentrais tranquillement chez moi, insouciant. Puis soudain, je vois une voiture foncer sur moi. Sous la peur, je suis comme paralysé et je n'ai pas le temps de réagir. La voiture me percute de plein fouet, m'éjectant un peu plus loin sur le béton, inconscient. J'ignore encore que mon frère a tenté de me tuer. Je suis à l'hôpital, dans le comas. Et à mon réveil, plus rien ne sera pareil. Plus jamais.