Pourquoi t'es là ? Pourquoi tu restes ?

« À un moment ou à un autre, il va falloir que tu dormes Mel’, et que tu rentres chez toi surtout. Ta tête commence vraiment à faire peur là… » La jeune femme sursaute en réalisant que c’est bel et bien à elle que l’on s’adresse. Avachie dans le petit coin d’herbe qui entoure la caserne, elle profitait d’un moment de calme pour fumer une cigarette et boire un énième café. Cela va faire près de 48h qu’elle est éveillée et elle doit bien avouer que ça commence un peu à tirer. Mais elle se refuse à rentrer chez elle. Elle ne veut pas dormir et surtout, ne pas avoir à affronter le regard de sa soeur et ses questions afin de savoir si elle va bien ou pas. Dans l’immédiat, ce n’est pas la grande forme. Elle a besoin de se changer les idées et surtout, qu’on lui laisse du temps. « T’inquiètes, je suis plus solide qu’il n’y parait. » Quand bien même c’est vrai, elle sait tout comme son collègue qu’il va falloir qu’elle se décide à rentrer. Elle a enchainé beaucoup trop d’heures ces derniers temps et en cas d’erreur, elle serait complètement responsable. Mais pour le moment, elle sent qu’elle peut tenir encore un peu. Ensuite, elle sera tellement morte qu’elle n’aura plus qu’à rentrer chez elle et à s’effondrer dans son lit pour dormir quelques heures. Le plan parfait, en somme. Ainsi, elle n’aura pas à penser ou à réfléchir, juste à dormir. La sonnerie du téléphone de la caserne coupe court à la discussion et elle écrase sa cigarette en vitesse histoire d’aller voir ce qu’il se passe. « Bagarre d’ivrogne dans un bar à Brooklyn. Jack, Alexander et Melody vous y allez, et ensuite tu rentres chez toi, c’est clair ? Je ne veux plus te voir ici avant demain ! » Elle hoche la tête en direction de son chef, sachant que cette fois, elle n’y coupera pas. S'il lui demande de rentrer, elle n'a pas d'autres choix que de le faire. « Et attaches-moi ces cheveux, bordel de merde ! » Tout le monde lève les yeux au ciel tandis qu’elle se contente d’obéir tout en montant dans le camion. Cet ordre, elle doit l’entendre environ dix fois par jour mais c’est plus fort qu’elle, elle les détache dès qu’elle en a l’occasion. C’est un peu devenu un running-gag à force. Tous ses collègues lui répètent sans cesse cette même phrase en imitant la voix exaspérée de leur chef.

Le chemin jusqu’au bar n’est pas long et heureusement, parce que Melody réalise qu’elle commence sérieusement à piquer du nez du moment où elle est assise. Ainsi, elle saute du camion dès lors qu’il est stationnée à un endroit où il ne gênera pas et elle s’apprête à rentrer dans le bar pour constater l’étendue des dégâts lorsqu’elle se rend compte qu’elle est observée. Qu’elle n’est pas sa surprise lorsqu’elle découvre le médecin de l’hôpital où elle emmène régulièrement des blessés, l’arcade et la lèvre en sang. Il aurait donc participé à la bagarre ? Etrange, non ? Quoi que pas tant que ça, en vrai. Il a l’air de faire tant d’effort pour se maitriser la journée qu’elle n’est presque pas étonnée de le retrouver ici et dans cet état à cette heure de la nuit. Sans réfléchir, elle attrape la trousse de secours et préviens ses homologues qu’elle doit absolument gérer un truc important et que vu que son chef ne veut plus d’elle, elle les reverra le lendemain à la caserne lorsqu’elle viendra prendre son tour de garde. « Attends… » Elle marche à vive allure derrière lui tout en s’efforçant de retrouver son nom pour pouvoir l’interpeller. Elle ne lui a jamais parlé personnellement et elle ne le vois qu’en coup de vent. Il faut dire que lorsqu’un neurochirurgien est bippé à l’arrivée des ambulances, ce n’est pas pour faire causette en général. Docteur… Bradbery. Ah, oui, Nathanaël ! « Nathanaël ! » Elle glisse une main sur son épaule en arrivant à sa hauteur et ne regrette pas son choix lorsqu’elle voit l’état de son visage de plus près. « Ne pars pas comme ça laisses-moi au moins te soigner, tu saignes ! » Bon, elle se permet le tutoiement parce qu’il semble avoir son âge mais elle ne le ferait clairement pas avec d’autres médecins. « Qu’est-ce qui s’est passé ? » Sans même attendre de réponse, elle ouvre la trousse de secours à la recherche d’un truc pour essuyer le sang qui coule toujours de sa lèvre.  
 

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Pourquoi t'es là ? Pourquoi tu restes ?

Lorsqu’elle l’aperçoit, Melody se demande sincèrement si elle est censée être surprise ou non. Elle ne l’est pas vraiment, en fait. À l’hôpital, il a l’air de tellement lutter pour garder un semblant de contrôle sur lui-même que le voir impliqué dans une bagarre d’ivrogne, ça ne la choque pas. Sans vraiment réfléchir, elle tente de le rattraper. Elle se rend bien compte qu’il fait mine de l’ignorer alors qu’il l’a parfaitement entendu mais elle s’obstine jusqu’à ce qu’il s’arrête et se tourne pour lui faire face. À le voir de plus prêt, elle a bien fait de le suivre. Il saigne de la lèvre et il faudrait désinfecter son arcade. Surtout, il est complètement sou, il n’a même pas besoin d’ouvrir la bouche pour qu’elle s’en rende compte. Comme elle s’y attendait plus ou moins, il lui fait comprendre qu’elle l’emmerde plus qu’autre chose. Elle sent qu’il l’observe tandis qu’elle ouvre la trousse de secours, à la recherche de quelque chose pour nettoyer le sang qu’il a sur le visage. Est-ce qu’il la reconnait au moins ? Sans doute pas. Elle, ça fait parti de son métier de connaitre les médecins, pour savoir qui faire bipper lorsqu’elle a fait les premières constatations sur les blessés. Lui, il doit se contenter de la voir comme un uniforme vivant à qui il peut éventuellement adresser la parole pour un renseignement, pas plus que ça.

Melody s’éloigne de justesse de lui lorsqu’il se tourne pour vomir. Un dernier verre hein ? C’est sûr que c’était l’idée du siècle. Le point positif, c’est qu’il évacue son trop plein d’alcool au moins. Compresse à la main, elle se demande comment elle va bien pouvoir faire pour qu’il accepte qu’elle le soigne lorsqu’il relève les yeux vers elle. Elle retient un sourire devant ses justifications, tout sauf cohérentes d’ailleurs. Même sou, il a une vague idée de son prénom. Peut-être devrait-elle penser à revoir son jugement ? « C’est Melody. Et tu ne vomirais pas ici mais dans le bar ou chez toi d’un autre côté, ça revient au même… » Elle hausse un sourcil devant son sourire. Entre le sang sur sa lèvre et son haleine, c’est tout sauf séduisant. Pour un peu, ça ferait même peur d’ailleurs. S’il croit la convaincre de le lâcher avec ça, c’est loupé. « Tu tiens à peine debout et faut vraiment nettoyer ton oeil. Et ne me dis pas que tu vas le faire, tu es clairement pas en état… » Elle se penche pour ramasser le téléphone qu’il vient de faire tomber et le lui tend, espérant vaguement qu’il ne lui hurle pas dessus parce qu'elle insiste. Elle a sans doute de la chance d’être une femme, elle aurait déjà pris son poing dans la tête sans cela, elle n’a pas le moindre doute sur la question. « J’ai fini mon service, laisses-moi te raccompagner. Je m’occupe de ton oeil et je te fou la paix après d’accord ? » Elle s’en occuperait bien maintenant, mais elle doit bien avouer que dans l’état où il est actuellement, elle préfère attendre qu’il accepte qu'elle s'occupe de lui avant de tenter quoi que ce soit.
 

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Pourquoi t'es là ? Pourquoi tu restes ?

Elle est butée la demoiselle, il n’a sans doute pas encore remarqué à quel point. Alors certes, il ne se montre pas particulièrement accueillant et elle saisit bien que ce qu’il veut vraiment, c’est de se retrouver seul et certainement pas de faire la causette avec elle. Ce qu’elle comprend carrément, mieux que personne peut-être. Ça l’embête un peu d’insister d’ailleurs, parce qu’elle se doute bien qu’il a juste envie de s’effondrer et de dormir maintenant. Mais il reste courtois, et elle ne peut pas s’empêcher de songer qu’il est médecin et que s’il se réveille avec un oeil au beurre noir et une main gonflée le lendemain parce qu’il ne s’est pas soigné, on ne le laissera peut-être pas opérer dans cet état. Elle ne connait absolument rien de son histoire mais elle en voit assez à travers son comportement pour supposer que travailler, c’est sans doute sa seule façon de tenir le coup en ce moment, parce que ça l’oblige à porter le masque et à faire semblant. C’est pour ça qu’elle insiste, en essayant de se montrer aussi diplomate que possible. Dans l’état où il se trouve, elle doute que l’argumentaire monte jusqu’au cerveau mais s’il refuse encore une fois, elle le soignera au milieu de la rue s’il le faut, en priant pour ne pas qu’il la repousse trop violemment.

Melody ne parvient pas à cacher son sourire de satisfaction lorsqu’il la fixe bien droit dans les yeux pour lui faire remarquer qu’elle n’est qu’une emmerdeuse. Victoire, enfin. « Étrangement, on me dit ça plutôt régulièrement ouais… » Elle se mordille légèrement la lèvre lorsqu’il la prévient qu’après avoir soigné son oeil, elle a intérêt à lui foutre la paix. En vérité, il faudrait aussi de la glace pour sa main, au cas où, et essuyer le sang qui coule encore de sa lèvre. Mais ça, elle va éviter de le lui dire pour le moment. « Ça marche. » Elle bloque quelques secondes sur son fond d’écran tandis qu’il lui tend son téléphone. Lequel des deux a-t-il perdu ? Sa femme ou son fils ? Elle se trompe peut-être, mais vu son comportement, elle jurerait qu’il a perdu un être cher. Cependant, elle ne tarde pas à appeler le taxi. Il ne la connait pas, et si elle pose la moindre question, il l’enverra bouler et rentrera chez lui sans qu’elle ait pu le soigner donc mieux vaut se taire.

Melody reste silencieuse durant le trajet, échangeant simplement quelques banalités avec le chauffeur tout en jetant des regards en biais à Nathanaël de temps en temps. Il a l’expression de celui qui va vomir d’une seconde à l’autre et elle est juste à côté de lui, donc ça ne la rassure pas particulièrement. Cependant, il n’en fait rien et ils arrivent sans encombre jusqu’à devant son immeuble. Elle le précède et galère un peu avec le trousseau mais finit par arriver jusque dans son appartement, où elle se pousse pour qu’il puisse entrer en premier. « Assieds-toi, je prends ce qu’il me faut pour ton oeil. » Sans attendre, elle pose sa trousse sur la première table qu’elle trouve et sort une nouvelle compresse, du désinfectant et une poche de glace pour sa main, s’il daigne l’attraper. « Ta main est un peu rouge, ce serait con qu’elle gonfle, prends ça… » Elle fait couler un peu de désinfectant sur la compresse et s’approche pour la tamponner doucement au dessus de son oeil. Au passage, elle se penche pour vérifier que ce n’est pas ouvert mais visiblement ce n’est pas le cas, pas besoin de points de suture donc. « T’as eu plus de chance que l’autre, il a le nez cassé et il passe la nuit en observation je crois. » Tout en parlant, elle essuie vaguement le sang au dessous de sa bouche. « Bon, normalement c’est bon mais il faudra sans doute désinfecter encore une fois demain matin… Tu veux que j’aille te chercher un verre d’eau ou quoi pendant que je suis là ? » Elle s’active de nouveau et commence à ranger son matériel, pour qu’il voit qu’elle n’a pas l’intention de s’éterniser. De toute manière, il est déjà 3h30 du matin et si elle espère trouver un taxi assez rapidement pour pouvoir rentrer chez elle sans risque, il va bien falloir qu’elle file…
 

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Pourquoi t'es là ? Pourquoi tu restes ?

Enfin, Nathanaël avait consenti à ce que la jeune femme le soigne. Plus pour se débarrasser d’elle qu’autre chose elle en avait bien conscience mais qu’importe, le résultat restait le même. Lorsqu’ils arrivent chez lui, elle ne tarde pas et sort ce dont elle a besoin pour s’occuper de son oeil. Instinctivement, elle fait la conversation pendant qu’elle le soigne. D’ailleurs, il accepte sa poche de glace sans sourciller ce qui lui facilite bien la tâche. Elle se doute bien qu’il se fiche de ce qu’elle peut lui dire et qu’il n’en aura certainement aucuns souvenirs le lendemain, mais elle ne le connait pas assez pour se taire et laisser le silence s’installer entre eux. Melody lève les yeux au ciel lorsqu’il finit par lui répondre qu’il n’embêtait personne et qu’il voulait juste un autre verre, avant de se lamenter sur le fait qu’il n’a plus d’alcool chez lui. « Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai plutôt l’impression que c’est une bonne chose moi. Tu as bien assez bu aujourd’hui… » Elle ne le juge pas le moins du monde. Elle comprend parfaitement que parfois, la réalité est bien trop dure à supporter et que notre seule envie, c’est d’y échapper par tous les moyens. Par contre, elle sait aussi qu’avec quelques verres de plus, il pourrait faire un coma éthylique donc mieux vaut qu’il n’en est pas à disposition, tout du moins pour ce soir. Comme il le lui demande, elle va dans la cuisine pour pouvoir lui ramener de l’eau. Il est tard et elle commence sérieusement à fatiguer mais tant pis, visiblement elle est là pour un petit moment encore vu que la mauvaise humeur du jeune homme semble s’être soudainement volatiliser.

Lorsqu’elle revient dans le salon et qu’il s’approche pour venir lui toucher la joue, elle se fige parce qu’elle ne s’attendait absolument pas à ce qu’il fasse ça. Surtout, elle réalise pour la première fois depuis qu’elle est avec lui qu’elle est dans l’appartement d’un homme complètement ivre, donc imprévisible, qu’elle n’a vu que quelques fois jusque là. Et qu’elle n’a pas pris la moindre précaution, comme prévenir quelqu’un de l’endroit où elle se rendait par exemple. Certes, elle est tout à fait en mesure de se défendre toute seule et à priori, il n’a pas l’intention de l’agresser ou autre mais elle a tout de même été stupide de ne pas informer ses collègues ou sa soeur de sa destination. L’odeur du whisky vient la percuter lorsqu’il se penche pour lui murmurer que puisqu’elle est là, ils n’ont qu’à prendre du bon temps. En un éclair, elle se retrouve propulsé contre lui et sa main lui enserre la taille. Le malaise l’envahit rapidement parce que son comportement est juste… dégoutant en fait, elle n’a pas d’autres mots. Il a bu certes mais ça n’excuse pas tout. Elle inspire profondément pour garder son calme et ne pas agir sous le coup des nerfs, qui lui crient en ce moment de lui en foutre une avant de partir d’ici au plus vite. Cependant, plusieurs solutions s’offrent à elle en réalité: elle peut le gifler, lui hurler dessus ou simplement tenter de lui parler pour qu’il se rende compte à quel point son comportement est ridicule. « Arrêtes ça tout de suite. » Sans réfléchir, elle attrape la main du jeune homme qu’elle relève au niveau de son visage, pour qu’il voit son alliance. Le message est clair. Encore une fois, elle ne connait rien de son histoire et elle sait qu’il est possible que sa femme soit décédée. Mais s’il la porte encore, c’est qu’il l’aime toujours et surtout que c’est récent. Elle n’a besoin que de le pousser un petit peu pour qu’il s’écarte d’elle tant son équilibre est précaire. « T’as vraiment cru que j’étais là pour ça ? Tu tiens à peine debout, tu es complètement bourré. Je voulais simplement m’occuper de ton œil et maintenant que c’est fait, tu devais juste aller dormir. » Dents serrées, elle l’observe dans l’attente de sa réaction. Il va peut-être lui hurler dessus et la foutre dehors parce qu'elle a complètement mis les pieds dans le plat mais elle s'en moque. Être gentille et compréhensive ne veut pas dire tout laisser passer non plus.
 

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Pourquoi t'es là ? Pourquoi tu restes ?

Lorsque Nathanaël vient glisser une main sur sa hanche pour la plaquer contre lui, la jeune femme réalise qu’elle a été stupide et complètement irresponsable de le suivre jusqu’ici sans prévenir personne. Elle sent bien qu’il n’est pas foncièrement méchant et qu’il ne la forcera à rien. Il a juste l’air paumé et malheureux et il doit se dire qu’un peu de bon temps ne lui ferait pas de mal et lui permettrait d’oublier. Mais elle était tellement occupée à chercher à le convaincre de la laisser le soigner qu’elle en a complètement oublié sa propre sécurité. Pourtant, c’est une des règles élémentaires qu’elle a appris lorsqu’elle a rejoint le corps des pompiers: toujours assurer ses arrières. Sans vraiment réfléchir, elle attrape sa main qu’elle relève à hauteur de son visage pour qu’il voit son alliance. À son regard qui change soudainement, Melody comprend immédiatement qu’elle vient de remuer le couteau dans la plaie en agissant de la sorte. D’autant plus en lui conseillant d’aller dormir d’ailleurs. Elle se sent un peu bête quand il lui fait remarquer qu’elle ne sait rien de sa vie et qu’elle pourrait s’abstenir de ce genre de conseil. « Tu as raison, je ne sais rien, pardon… » Elle n’est pas le genre de personne qui juge d’habitude et elle ne veut pas qu’il puisse penser ça d’elle. Elle a parlé sous le coup des nerfs mais à ses traits tirés, il est évident que cela fait un moment qu’il n’a pas fait une nuit de sommeil complète. En plus, elle est particulièrement mal placé pour donner des conseils en la matière étant donné que ça fait des jours et des jours qu’elle attend de s’effondrer pour dormir et qu’elle reste à la caserne le reste du temps.

Melody ne répond rien quand il s’excuse, parce qu’elle a la sensation que ça ne lui est pas uniquement destinée. D’autant plus que dans le fond elle ne lui en veut pas. Plus d’un aurait tenté exactement la même chose à sa place et se serait montré clairement plus insistant que lui. Il a suffit qu’elle le repousse pour qu’il lâche l’affaire donc elle n’a pas vraiment de raison d’être en colère. « Y’a pas de soucis c’est normal et t’inquiètes, je t’en veux pas… » Elle l’observe essayer de rouler, songeant qu’avec une seule main, il risque de galérer pendant un moment. Du coup, quand il lui demande de l’aider, elle n’hésite pas vraiment. Il est déjà tard et elle n’est plus si fatigué que ça bizarrement. L’habitude, certainement. « Je vais t’aider, vu l’heure je peux bien rester un moment ça ne changera pas grand chose. » Elle contourne le canapé et va s’installer à côté de lui, attrapant une feuille qu’elle plie doucement pour pouvoir commencer à rouler. « Par contre tu vas vite regretter de m’avoir demandé ça, je sais pas si je ferais mieux que toi, même avec une main en plus… » Elle fume uniquement des cigarettes industrielles. Les joints, ça lui arrive mais c’est très rare donc elle n’a jamais vraiment eu l’occasion de s’entrainer. Elle se mord doucement la lèvre, concentrée à la tâche. « Si tu as envie de parler, je suis là mais ne te sens surtout pas obligé, tu ne me dois rien Nathanaël… » C’est con, mais elle ne veut pas qu’il se confie à elle parce qu’elle est restée ou qu’elle l’a soigné. Elle l’a fait sans attendre de retour et surtout, elle sait à quel point c’est difficile de parler de ce genre de chose, d’ouvrir la brèche…

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Pourquoi t'es là ? Pourquoi tu restes ?

Si on lui avait dit au début de cette journée qu’elle finirait dans l’appartement de quelqu’un qu’elle connait à peine et qu’elle roulerait un joint, elle aurait certainement ri. Parce qu’à bien y réfléchir, c’est vrai que la situation est quand même un peu surréaliste. Il y a une heure à peine elle ne songeait qu’à la fin de sa garde et à son lit dans lequel elle pourrait bien gentiment s’effondrer et maintenant elle est là, toute trace de fatigue évanouit. En vrai, elle se reconnait tellement à travers lui qu’elle a presque besoin d’être là, parce qu’il y a quelques années, elle aurait bien aimé avoir une oreille attentive, ou même juste quelqu’un à côté d’elle quand elle avait l’impression qu’elle ne s’en sortirait jamais, que c’était peine perdu et qu’elle était absolument seule au monde. Cependant, elle ne veut pas non plus qu’il se sente obligée de quoi que ce soit parce qu’elle est restée et elle le lui fait savoir. Il lui répond qu’il se sent quand même un peu redevable et qu’il n’est pas comme ça normalement. Et que peut-être, parler pourrait lui faire du bien. « Je t’assure que non et je me doute que tu n’es pas comme ça, ça se voit… » C’est vrai qu’elle n’en doute pas une seule seconde. Il a un bon fond, c’est clair et net. C’est juste qu’on ne peut pas toujours faire les bons choix, et qu’il a l’air de lutter de toutes ses forces pour garder la tête hors de l’eau.

Toujours concentrée sur le joint, Melody s’efforce de ne pas tressaillir lorsqu’il déclare qu’il a perdu sa femme. Elle enroule la feuille autour du mélange plus ou moins bien répartie qu’elle a réussi à faire et elle l’écoute en silence. Elle ne regarde pas forcément dans sa direction parce qu’elle se doute qu’il n’a pas spécialement envie de croiser son regard maintenant mais elle ne le fuit pas non plus, elle se contente d’être là et d’écouter. Parce qu’elle pense qu’en l’instant, c’est peut-être ce qui pourrait lui être le plus utile. Pas quelqu’un qui tente de le réconforter ou de minimiser la chose, ça ne sert à rien. Juste une oreille attentive. Elle reconnait sa propre histoire et tout ce qu'elle a ressenti à travers chacuns des mots qu'il pronnonce : les gens qui ont l’air de penser que c’est facile, qu’on peut faire face, les mots d’encouragements qui sonnent faux et vides. Le sentiment de devoir tenir pour quelqu’un. Elle, c’était pour Lucy et pour son père et lui, c’est pour son fils. Et surtout, la solitude, l’abandon. Le sentiment d’avoir perdu la personne la plus importante, celle pour qui vous auriez pu donner sans restriction. La situation n’est pas la même bien sûr mais si elle avait pu donner sa vie pour sauver celle de sa mère, elle l'aurait fait sans aucune hésitation. Elle sait que dans un sens, tout le monde aurait été plus heureux. Quand la pièce retombe dans le silence, elle essuie les quelques larmes qui lui ont échappés malgré elle. Trop sensible, l’une des choses qu’elle déteste le plus dans sa personnalité, sans aucun doute. Sans vraiment réfléchir, elle presse doucement sa main sur celle du jeune homme. Sans ambiguïté aucune bien évidemment, mais juste pour lui faire savoir qu’elle est là. Les désolés ou les toutes mes condoléances, très peu pour elle. Comme si ça changeait quelque chose de s’excuser quand quelqu’un vous annoncer la mort d’un proche, comme si ça allégeait la peine. Elle se tait pendant un moment, le temps de trouver ses mots. Et aussi parce que ce qu’il vient de lui confier n’appelle pas forcément à une réponse. Parfois, mieux vaut garder le silence que de parler juste pour dire un truc. De toute manière, rien de ce qu’elle fera ne pourra l’aider, elle le sait parfaitement. « En fait, je crois que les gens deviennent un peu égoïste quand ça arrive. Ils ne font pas exprès mais c’est comme s’ils avaient tellement besoin d’être là pour toi qu’ils oublient ce que toi tu veux vraiment. » Les mots de réconforts, les gâteaux, les regards en coin, les voisins qui viennent vous voir juste pour avoir l’impression d’être utile. Dans le fond, ça n’aide pas vraiment tout ça. « Du coup, t’essaie de donner le change et de leur apporter ce qu’ils veulent de toi: avoir l’air d’aller bien. Comme ça, ils peuvent reprendre leur petite vie bien tranquillement, sans s’inquiéter pour toi. » Elle soupire et se frotte les yeux en se penchant légèrement en avant, le temps de ravaler l’émotion qui est monté sans qu’elle ne puisse rien y faire. « Dans le fond, je pense que le seul truc qui peut vraiment aider, c’est le temps… Mais pour ça, faut sans doute se laisser le droit de respirer un peu et d’être mal... » Machinalement, elle pousse le joint dans la direction du jeune homme tandis qu’elle fouille dans ses poches pour en sortir une cigarette. Elle en a bien besoin, là. « Et ton fils, comment il s’en sort ? » À deux ans, c’est évident qu’il ne doit pas vraiment réaliser ce qu’il se passe mais elle sait par expérience que les enfants ne sont pas bêtes et que si son père est malheureux, il doit nécessairement le sentir et agir différemment de d’habitude.

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Pourquoi t'es là ? Pourquoi tu restes ?

Melody, elle fait la femme forte.  Tout le temps; au boulot, avec sa soeur, lorsqu’elle va voir son père… Elle donne toujours l’impression que rien ne l’atteint jamais. Que même si la terre s’écroulait autour d’elle, elle resterait debout, fière. Qu’elle est solide, qu’elle peut tout encaisser. Mais dans le fond, elle sait bien que c’est faux. Elle peut faire semblant oui. Porter le masque qu’elle s’est fabriquée au fil des ans parce qu’elle n’a pas eu d’autres choix. Ce même masque qu’elle porte depuis des semaines pour ne pas montrer à quel point elle est affectée par sa récente rupture. Tout le monde croit qu’elle gère, mais en fait pas du tout. Deux ans à être prise pour une conne avant d’enfin réussir à ouvrir les yeux, ça ne s’efface pas comme ça en même temps. Aussi, quand Nathanaël se confie à elle, elle l’écoute avec attention et elle sent quelques larmes lui échapper malgré elle. Un peu parce que ça fait des semaines qu’elle s’interdit de pleurer et que même si elle ne le réalise pas vraiment, elle a les nerfs à vif. Beaucoup parce qu’elle compatit et qu’elle ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec sa propre histoire. Elle sait ce que ça fait de tout perdre en un claquement de doigt, de se sentir seul au monde et de se retrouver tout à coup avec une tonne de responsabilités sur les épaules, avec l’impression qu’on arrivera jamais à assumer. C’est d’ailleurs pour ça que plutôt que d’essayer de le réconforter par des paroles complètement inutiles, elle presse doucement sa main dans la sienne pour lui montrer qu’elle est là, qu’elle l’écoute. Elle sourit à son tour en sentant la main du jeune homme sur son épaule, ayant l’étrange sensation d’être complètement à sa place même si elle le connait à peine. Il vient de lui confier son histoire, ce qu’il a vécu. C’est extrêmement personnel et pourtant, il n’y a aucun malaise entre eux. Le silence qui règne durant quelques instants n’est pas gênant, bien au contraire.

La jeune femme prend ensuite la parole en laissant simplement parler son coeur. Elle sait que les gens veulent bien faire dans ces moments-là mais elle sait aussi que souvent, leurs marques de soutien ne servent pas à grand chose. Parce qu’ils ne vivent pas ce que vous vous vivez et que même s’il est naturel qu’ils souhaitent que vous alliez mieux, il faut aussi savoir laisser du temps au temps. Melody rit lorsqu’il lui fait remarquer qu’elle ne s’est pas trop mal débrouillée avec le joint. Il est légèrement difforme mais elle a réussi à le rouler plus ou moins correctement, c’est déjà ça. « Je pense que j’ai encore besoin d’entrainement, mais pour un premier essai c’est pas trop mal on va dire. » Elle lui demande ensuite comment son fils vit la situation tout en s’allumant une cigarette, dont elle a vraiment besoin à l’heure actuelle. Elle aspire une longue bouffée de tabac tout en écoutant sa réponse. Elle ne peut s’empêcher de sourire en l'écoutant parler, en imaginant le bébé auquel on lit des histoires tous les soirs et qui a maintenant un papa aussi dévoué pour s’occuper de lui. Sa maman n’est plus là certes, mais au moins, Nathanaël arrive à tenir le coup, pour lui. Elle, elle a été heureuse aussi lorsqu’elle était petite. Pas d’histoire mais des chansons. Des tonnes de chanson et des centaines d’heures passées avec sa mère à répéter et à partager ensemble l’amour de la musique. Son coeur se serre, comme chaque fois qu’elle y pense et elle se passe une main dans les cheveux tout en tapotant distraitement sa cigarette pour faire tomber la cendre. « Je n’en doute pas une seconde tu sais » dit-elle d’une voix apaisante lorsqu’il se tourne vers elle pour lui assurer que Timothée ne le voit jamais comme ça. « Je crois qu’il a vraiment de la chance d’avoir un papa comme toi et je suis persuadée que tu t’en sors vraiment très bien avec lui. Le regard que tu as quand tu en parles ne trompe pas. » Elle le pense sincèrement, elle ne doute absolument pas qu’il soit capable de s’occuper de son fils, ça se voit qu'il fait au mieux. Et c’est normal qu’il s’accorde des moments à lui comme ce soir, il en a besoin. « Je veux bien oui. » Elle pose sa cigarette sur le rebord du cendrier et attrape le joint qu’il lui tend pour en tirer une taffe. Elle ne fume que rarement, mais elle sait que ça la détend lorsqu’elle le fait et après presque quarante-huit heures de garde, elle peut bien s’autoriser ça. « Le médecin et le pompier qui fument un joint, ça en étonnerait plus d’un je crois… » Elle lève les yeux au ciel pour appuyer ses propos; les gens pensent souvent que parce qu’elle fait le métier qu’elle fait, elle est irréprochable mais elle est comme tout le monde, et heureusement, on s’ennuierait vite avec elle s’il en était autrement. « En tout cas, c’est vraiment bien que tes parents soient là pour s’occuper un peu de lui. » Elle tire une nouvelle fois sur le joint avant de le lui retendre, récupérant sa cigarette au passage. Elle se mordille un moment la lèvre, hésitant clairement. Elle a envie de se confier à son tour mais d’un autre côté, elle ne veut pas donner l’impression de ramener les choses à elle, parce que ce n’est pas du tout le cas. C’est juste qu’il vient de s’ouvrir à elle et que tout naturellement, elle a envie d’en faire de même. « Tu sais, je pense que le plus dur c’est juste de retrouver un certain équilibre. Une fois que c’est fait, les choses deviennent déjà un peu plus facile… » Elle grimace un peu en pensant à son père qui boit toujours autant malgré les années écoulées et pour lequel elle ne peut s’empêcher de s’inquiéter malgré elle.                

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