Née le 12 février dans une maternité huppée de Londres, Violet connaît une petite enfance plutôt calme, de son point de vue. Elle n’est pas particulièrement affectée par l’absence constante de son père, ni par la richesse imposante qui caractérise sa famille. En effet, son cher paternel qu’elle connaît si peu est le fondateur d’un empire de la mode dont sa mère est l’égérie. Cet empire, encore jeune lors de sa naissance, pris peu à peu de l’ampleur au fur et à mesure de sa croissance ; avant ses 12 ans, son nom était connu dans toutes les grandes capitales aux côtés des grandes marques.

À ce stade de sa vie, ceux qui la connaissent la trouvent calme et disciplinée. Elle écoute ce qu’on lui dit, suit le chemin qu’on lui trace. Bonne élève dans la meilleure école de Londres, elle ne fait pas de vagues, au grand bonheur de ses parents. Elle se contente de suivre le mouvement sans protester, sans se demander si c’est ce qu’elle souhaite ou non.

Ses parents ne sont jamais à la maison, toujours en voyages d’affaires, en réunion, à une énième soirée importante. Ils se contentent de suivre son cursus scolaire. Elle ne les voit que lors de grands événements. La seule personne à faire office de figure autoritaire, dans son entourage, est sa nourrice, qui est la seule à se soucier un peu de sa personne. Une relation fusionnelle s’établit entre elles, même si rien ne remplace une mère.

Conditionnée par ce mode de vie solitaire, elle devient de plus en plus antisociale et apathique. Ses seuls amis sont la lecture, le cinéma, et le dessin. Plus qu’un passe-temps, c’est une véritable passion : elle ne fait plus rien sans un crayon dans la main. Encouragée par sa nourrice, elle se met à la peinture, à l’aquarelle, au collage ; elle se jette tête baissée dans l’Art, grandit la tête dans les étoiles et les doigts couverts de gouache, sans cesse en quête d’inspiration.

Violet a 16 ans ; mais sa culture et son intelligence équivalent celle d’un adulte lambda. Beaucoup plus mature que tous les adolescents de son âge, elle les juge inconsciemment et s’écarte ainsi des groupes sociaux. Leurs efforts pour la côtoyer l’amusent et l’ennuient : son nom et son air hautain attirent. Ils sont tous autour d’elle, aimantés ; elle ne fait que les repousser. Ils ne l’intéressent pas, elle ne les aime pas. Ce sont Eux, ce sont les Autres.

Arrive lui. Lui. Ce garçon. Foudroyée par sa réalité au milieu de tous ces Autres, elle s’embarque dans une histoire d’amour follement passionnée, embrasée de désir… Qui finit par la détruire, comme toutes les histoires d’amour entre adolescents un peu paumés dans leur vie.

Cette brutale rupture coïncide avec la mort de sa nourrice, emportée par le cancer. Dévastée, Violet, persuadée que sa vie n’a plus aucun sens, qu’elle n’en a jamais eu, pense à l’impensable, imagine l’imaginable. Sombrant dans une dépression autodestructrice, elle finit par le faire. Deux flacons orangés plus tard, une énième pilule lui tombe de ses mains tremblantes, et ses yeux baignés de larmes assistent impuissants à sa chute sur le sol.

Un bip-bip désagréable la réveille. Elle est à l’hôpital, ses parents à son chevet. Elle apprend qu’on l’a trouvé dans la salle de bains, que ça ira, qu’on est désolés, qu’on ne savait pas, qu’on va déménager, et pourquoi tu ne nous a rien dit ? Insensible à tous ces états d’âmes, Violet n’entends qu’une chose : Déménagement. New York. Une occasion de tout oublier, de repartir de zéro, d’avoir une nouvelle chance.

La routine s’est installée bien plus vite que prévue. Et pourtant, Violet s’accroche. Elle ne sait plus bien pour qui, ou pourquoi. Elle attend, se cache derrière un sourire rayonnant. Ses nouveaux amis aident, un peu. La plupart d’entre eux sont faux et ne sont intéressés que par ce qu’elle peut leur apporter, mais cela lui importe peu, elle est intégrée socialement et ça lui convient. Selon le souhait de ses parents, elle choisit un cursus de stylisme, pour plus tard reprendre les rênes de l’entreprise. Si elle ne vivait pas au beau milieu de la grosse pomme, sa vie serait des plus fades : enchaîner les soirées mondaines où la moindre parole est décryptée par cinq-cents personnes ne l’intéresse pas. Mais, sa ville étant ce qu’elle est, elle passe ses journées dans des galeries d’art indépendantes, à la recherche de nouveaux artistes talentueux. Elle-même produit beaucoup de créations, mais elles s’empilent dans un coin de son dressing, sous la poussière.