La photographie est pour moi, une sorte d'échappatoire. Je n'ai pas la prétention de dire que je suis le meilleur photographe du monde, loin de moi cette idée saugrenue, mais, mes clichés, je les aime. Je prends souvent en plusieurs fois le même modèle pour en tirer LA photo qui fera palpiter mon cœur d'émotions intenses. On me dit souvent que c'est une perte de temps, mais, entre nous, je suis encore jeune alors le temps, je peux bien en perdre un peu en triant un cent de photos. Aujourd'hui, n'ayant pas cours, j'ai décidé de sortir un peu de mon trou d'ours. Ma mère étant à Madagascar pour quelques mois, je vais profiter au maximum de toutes les opportunités photographiques, qui s'offriront à moi. Après avoir minutieusement nettoyer mon appareil de fond en combles, je me dirige vers ma salle de bains pour faire un brin de toilettes. Le temps est clair et les nuages ne sont pas au rendez-vous, cette journée est parfaite. Revenant à ma chambre, je m'habille le plus simplement du monde mais je n'oublie pas ce petit coup de crayon noir qui fera ressortir mes yeux bleus. Une fois satisfait, je sors de chez moi, ne prenant pas vraiment la peine de manger, et me dirige vers le quartier des spectacles. Il y a tout un tas de gens qui font des représentations alors je vais y faire quelques belles prises de vues avant le concert de ce soir.

19h30, les petits spectacles de rues sont terminés et j'ai pu faire de très belles photos. Je me pointe devant la salle et tends mon ticket, priant pour ne pas qu'on me prenne mon Reflex : « Normalement, les photographes non-officiels sont interdits mais, je vais faire comme si je ne voyais rien, comme à chaque fois que tu viens ici. » Bon, au moins, il est honnête. Je le remercie pour sa gentillesse, lui glissant un billet dans la main puis m'engouffre dans la salle presque bondée. J'avoue que je ne sais absolument pas quel genre de musiciens je vais voir mais, bien que j'aime prendre les artistes en photos, j'aime encore plus prendre toutes les personnes autour que ce soit le Staff comme les fans. D'ailleurs, en parlant de Staff, l'ingénieur du son présent, ne m'est pas inconnu...

Mes yeux suivent chacun de ses mouvements avec une attention particulière, essayant de se rappeler pourquoi les traits de cet homme leurs sont si familiers. Ô bien sûr, je prends des clichés en rafale, en prenant soin de désactiver le flash, plus par automatisme qu'autre chose et puis là, je la tiens ma photo coup de cœur... Accoudé au bar, il a ce sourire en coin qui me parle. Pourquoi ce sourire plus qu'un autre ? Je ne le sais pas moi-même. Je reste croché sur cette expression, happé par son foutu sourire qui en dit long. Ma respiration se bloque alors que mon doigt reste vissé sur l'enclencheur. C'est une sensation totalement différente mais, elle ne dure que quelques secondes alors qu'un grand dadet se plante devant moi, bouchant ma vue. Je suis partagé entre le soulagement et la colère. Soupirant avec tristesse, je décolle enfin mon appareil de mon œil et regarde les photos. J'ai déjà plus de deux cents prises de vues en mémoire mais, de nouveau, j'accroche à mon ingénieur du son. « Je le connais, c'est évident... », murmurais-je, sourcils légèrement froncés.

Lorsque l'autre abruti se décale enfin, je ne peux m'empêcher de fixer le bar. Envolé mon ingénieur du son. Envolé mon modèle coup de cœur de ce soir. Merde, je suis sacrément désappointé. Je suis à deux doigts de prendre mon baluchon, et de filer en boudant. Oui, ce n'est pas trop professionnelle comme attitude. Je suis frustré mais genre, horriblement alors que les lumières baissent dans la salle. Et pourtant, je le cherche, même dans le noir. Je le cherche avec désespoir. D'un point de vue extérieur, j'ai l'air d'être pathétique et... oui, je confirme, je suis pathétique. Re-merde. A contre cœur, je bouge jusqu'au bar, le monde est moins dense que plus bas en fosse. Je commande un soda puis prends de nouveaux clichés en rafale, espérant immortaliser un truc ou deux. Tout le long du concert, je continue de chercher mon ingénieur et puis, mon regard se pose sur la régie. Mon ingénieur du son est là, concentré sur son travail et moi, comme un idiot, je souris. De nouveau, je me mets à le prendre en photo mais, aucun cliché ne me frappe comme le premier. Il n'a plus vraiment ce sourire qui m'a donné des palpitations. Je suppose qu'il est nerveux, c'est compréhensible. Le délaissant une nouvelle fois, je reviens au groupe et immortalise chaque membre au bon moment. Je verrais bien ce que ça donne en rentrant...

Bon, je ne vois absolument rien de là où je me trouve. Il faut que je trouve un meilleur point de vue. Balayant la salle du regard, je repère mon ingénieur du son dans sa régie et mordille nerveusement ma lèvre inférieure. De là où il se trouve, je pourrais à loisir, avoir une vue plongeante sur toute la salle mais, un problème se pose : l’agent de sécurité. Néanmoins, j’ai un Pass VIP donc, je peux éventuellement m’en servir même si je n’aime pas vraiment ça. C’est dur de choisir mais, j’aimerais vraiment pouvoir faire de superbes prises de vue. Je me faufile donc jusqu’à la régie et, comme je le prévoyais, l’agent de sécurité m’arrête. Il a l’air aussi sympa qu’un gravier dans une godasse… « Toi, t’as pas l’droit d’être là, dégages. » Bon, okay, ça s’est fait. J’arque un sourcil en me mordant l’intérieur des joues nerveusement, une fois de plus et lui montre mon Pass VIP. Il se déconfit en un quart de seconde et se met presque au garde à vous pour me laisser passer. Je lui souris poliment, et carrément gêné. Je me retrouve avec mon ingénieur du son et j’avoue ressentir une certaine fierté. Seulement, le jeune homme ne semble pas être de cet avis : « J’peux vous aider ? » Mon regard bleuté plonge dans le sien et alors que je sens mes joues s’empourprer dangereusement, je me racle la gorge et lui montre mon Pass : « En fait… en fait je suis monté pour prendre des photos d’ensemble et donc euh… ben… en fait, non, ça va aller, merci de la proposition et… et je ne vous gênerais pas. » Merde, je suis con.

Je l’observe. J’ai bien du mal à décoller mon regard de lui. Son visage m’est si familier. Ses traits fins, tirés par la concentration me font choir un peu plus dans une vision que je pensais avoir oublié. Cela ne se peut… Si ? Je me décroche enfin de lui quelques secondes et fixe la scène. Les souvenirs reviennent en mémoire et de nouveau, mes yeux se posent sur mon ingénieur du son : « Pink Elephant ! Je savais que je vous avais vu quelque part… cela faisait depuis mon entrée dans la salle, depuis que mes yeux ont croché sur vous que j’ai su que vos traits ne m’étaient pas inconnus… euh pardon… je ne voulais pas vous agresser comme ça je… je suis désolé… » Re-merde ! Plus crétin que moi, tu meurs…