WELL THE EARTH DIED SCREAMIN' WHILE I LAY DREAMIN'
Tu peux être ce que tu veux, faire absolument n'importe quoi quand t'es un gosse de riche. Tu peux bien péter une durite dans les règles de l'art, baiser ton instit alors que t'es mineur et qu'elle va avoir plus d'emmerdes que toi si on le découvre, être le pire taré que la terre aie jamais porté, partir au Chili faire du macramé, être le pimp n°1 des filles des rues, tout ça sera soit charmant soit matière à une bonne anecdote. Tu peux même chier dans un seau déclarer que c'est de l'art et le vendre pour des millions à une galerie huppée. Voilà la conclusion à laquelle Ira était parvenu assez vite, assez jeune, en faisant partie de la famille Whitlock. Une sorte de constat rassurant qui te donne une tape paternelle dans le dos en te disant t'inquiète c'est pas grave si t'es chelou du coup. Et donc ce constat avait passé vingt quatre ans à taper Ira dans le dos pour le rassurer jusqu'au moment où il s'était tiré en douce comme un connard le jour où un inconnu tout droit sorti d'un film noir des années cinquante, trench, chapeau et ruelle sombre et pluvieuse compris, était venu lui annoncer qu'il était le mauvais petit canard, le black swan des Whitelock, la pièce rapportée d'on ne sait où. Comment tu réagis à ce genre de nouvelles? Tu réponds ok mec, cool? Tu lui fous ton poing dans la gueule? La question ne s'était pas posé pour Ira. Ses yeux avaient papillonné vers l'intérieur, iris toujours fixées sur son interlocuteur mais cerveau parti dans le vague, il s'était mis à sentir son esprit complètement inadéquat à son corps, à toucher de ses doigts l'intérieur de ses paumes pour vérifier sa propre réalité, à même y enfoncer un peu les ongles pour voir, s'était dit qu'il pouvait faire absolument ce qu'il voulait là tout de suite puisque de toute façon ce monde n'était qu'une illusion et que donc s'il se mettait à tout casser il n'y aurait aucune conséquence. Les troubles de dépersonnalisation sont un cauchemar. Quand une crise se déclenchent c'est toutes les drogues qui existent au monde qui s'entrechoquent dans ton cerveau, tous leurs effets mélangés en feu d'artifice. C'est les champignons en pire. Tout ce que tu vois tu peux toujours le voir mais tu es persuadé que ça n'existe pas de toute façon et que donc tu peux faire ce que tu veux à l'intérieur de ce monde de pacotille. Tu n'as plus aucune limite, aucune inhibition, aucune morale, aucune conscience du bien et du mal. Et si Ira n'est jamais vraiment passé à l'acte, qu'il a réussi à se contenir par dieu sait quelle microscopique part de raison encore éveillé dans son esprit quand les crises arrivent, on pourrait croire qu'il s'y mettrait maintenant, alors qu'on lui annonce la pire news depuis la mort de 2Pac.
Mais non. Ça tient. Ira reste complètement immobile malgré son visage et ses yeux qui semblent trahir un trip bien sévère. Il ne fait pas quelque chose de complètement dingue ou de dangereux, genre tuer ce type avec le canif qu'il a dans la poche ou encore mieux avec la trompette qu'il se trimballe dans le dos. Il reste immobile, cherche à respirer le plus régulièrement possible, et quand ça passe l'inconnu est parti sans qu'il s'en rende compte. Pas encore de gros craquage cette fois. Mais il se passe quoi quand il doit annoncer tout ça à la famille? Qu'il sait pour l'adoption, aux parents, et qu'il est adopté, aux frères et sœurs? Et Némesis, elle va réagir comment? Et la dépersonnalisation, ça va continuer à s'empirer jusqu'à le faire agir? Est-ce qu'il ferait pas mieux de se bouger le cul et d'aller voir un psy?

WELL HELL DOESN'T WANT YOU AND HEAVEN IS FULL
Je suis ravagé, pourri de l'intérieur. Si j'étais une femme mon ventre serait stérile et condamné à rester toujours vide de sens et de vie. Etant un homme je m'imagine que si un jour j'arrête les capotes mes spermatozoïdes s'épuiseront de toute façon en cours de route, trop faiblards, ou iront fabriquer un gamin fait de breloques, un bébé à vendre immédiatement à un antiquaire parce qu'il est trop foutraque pour un parent mais parfait pour un amateur de vieilleries un peu déconnantes. A mon grand regret je semble n'avoir aucun instinct auto-destructeur qui pourrait me faciliter la vie. Je suis assis au milieu de la vie comme un tas de bouse qui ne supporte plus sa propre odeur et qui ne fait rien pour en changer parce qu'il se dit que de toute façon c'est impossible, de se débarrasser de sa propre odeur. Alors j'ai décidé de continuer à vivre puisque ma lâcheté m'empêche de vouloir faire autre chose. A vivre et à chérir Némesis. Je brille parmis mes amis en leur faisant croire qu'on peut faire pousser des orchidées dans la merde, regardez, ça fait vingt cinq ans que je me bats pour le faire...
La musique c'est le seul truc qui me touche. Les émotions qu'un morceau, qu'une chanson déversent sur moi sont inquantifiables, impossibles à décrire. Ma sensibilité au contact de la musique est à fleur de peau. Elle flotte à l'air libre et son corps est celui d'un écorché qui est au martyr parce que le vent caresse sa peau à vif. Je ne comprends pas son effet sur moi. Prendre un instrument dans ma main c'est comme tenir délicatement entre ses doigts une relique sacrée de sa religion. C'est le seul truc qui m'anime, le seul truc qui me bouleverse vraiment, le seul truc qui m'ôte pendant un temps la sensation que je vis dans un aquarium, que je vois le monde à travers une vitre, moi spectateur détaché sans aucune empathie, spectateur neutre sans couleurs ni contours.
J'ai l'air dépressif malheureux et suicidaire quand je dis tout ça. Ce n'est pas le cas. J'aime rire. Ça va, en vrai, ça va vraiment. Je comprends juste pas trop le vide abyssal à l'intérieur de moi.