Amanda. Ses parents l’ont appelée Amanda. Étymologiquement, ce prénom signifie « Qui est aimé » en latin. Et pour être aimée, elle l’a été. Première fille d’un banal couple new-yorkais, Amanda est désirée, attendue et à sa naissance complètement vénérée par ses parents. Elle est le fruit de leur amour, la concrétisation de toute leur vie. Enfant reine, elle est choyée de tous. Première enfant de sa génération, elle est le centre d’attentions de ses parents, de sa famille, de tous les proches. Elle est celle à qui on offre toujours un cadeau, celle à qui on ne sait pas dire non, celle qu’on aime. Amanda est petite fille, et déjà on a un aperçu de la femme qu’elle sera. Vient alors sa petite sœur. Calista, elle l’aime. Presque surprenant, Amanda s’accommode plutôt bien à la présence de sa sœur. Peut-être parce qu’au fond, sa vie ne change pas pour autant. Elle est toujours la première, toujours la préférée, toujours celle qui a su faire chavirer le cœur de chacun. Elle est aussi à l’école, Amanda. Elle est plus intéressante qu’un bébé encore incapable de faire quoi que ce soit. L’attention reste braquée sur elle. Encore et toujours. Les années passent, et ça ne change pas. Elle devient une adolescente sulfureuse. Elle a ce charme irrésistible qui fait plier tous ceux qui l’entourent. Peut-être parce qu’elle a toujours été vue comme la huitième merveille du monde par ses proches, elle a cette assurance presque arrogante, cette confiance en elle indéniable. On l’adore, parfois on la déteste, mais elle ne laisse personne indifférent. Elle est la reine des abeilles, Amanda. Celle qu’on adule, celle qu’on admire. Les garçons bavent sur elle, et les filles veulent toutes être sa meilleure amie. Auprès des professeurs, elle donne l’illusion de l’élève modèle.  La popularité, elle ne sait pas comment elle lui est venue mais elle tient à la garder. Elle se fait plus hargneuse, presque venimeuse. Elle sait atteindre ses victimes, dans cette guerre idiote qu’on ne connait qu’au lycée. Elle devient une peste, Amanda. La seule avec laquelle elle fait preuve de douceur, c’est sa petite sœur. Celle qui, elle commence à s’en rendre compte, a bien plus de mérite qu’elle. Celle qui a toujours été effacée, mais au fond, la seule personne pour laquelle elle a une réelle estime. Les autres ? Elle ne fait que les manipuler à sa guise. Elle aime le pouvoir. Elle y prend dangereusement goût. Elle aime cette emprise qu’elle a sur les gens. Et pourtant, elle a quoi ? Seize ans. Mais elle sait faire tourner le monde autour d’elle. Aussi, elle sait mener le monde comme elle l’entend. Elle sait être aimée, Amanda. Autant que son prénom le promettait. On la voit star de cinéma, chanteuse, ou même présidente pour les plus admiratifs. Mais elle, ce qu’elle veut, c’est être danseuse étoile. Elle fait de la danse classique depuis qu’elle est toute petite. Et elle est douée. Elle en fait son métier. Même dans le milieu, elle a toujours cette force attrayante, celle qui agace tout autant qu’elle fascine, partout où elle passe. Elle commence à se faire réellement connaître. Elle est une étoile montante, comme on dit. Elle fait même des tournées, des ballets dont elle est la vedette. Elle se sent à sa place mieux que nulle part ailleurs sous les feux des projecteurs, en train de faire ce qu’elle aime le plus au monde… Danser. C’est le seul moment où elle ne joue pas. Mais alors qu’elle est âgée de vingt-cinq ans seulement, alors qu’elle a le monde à ses pieds, elle finit par faire une mauvaise chute. Le verdict de tous les médecins qu’elle consulte est le même. Elle ne peut plus danser. Tous ses rêves partent en fumée. Sa blessure met du temps à guérir, et elle… Elle se laisse sombrer, peu à peu. Elle le sent, elle le sait, elle ne pourra plus jamais danser à haut niveau. Elle a trop perdu de sa souplesse, de son endurance mais aussi de sa force. Elle est détruite, Amanda. Les médias se détournent d’elle. Tous les « amis » qu’elle avait disparaissent. Elle devient l’oubliée. Elle était la numéro un, et cette fois elle n’est plus rien. Elle s’enfonce de plus en plus. Elle ne voit plus sa famille, elle s’éloigne de tout ce qui lui rappelle son ancienne vie… Pour la première fois de sa vie, elle souffre. Et peut-être qu’au fond, c’est le juste retour des choses, pour une femme trop souvent aimée sans rien donner en retour. Elle se laisse sombrer. Elle plonge dans l’alcool, la drogue, et toutes ces choses auxquelles elle ne touchait même pas, avant. Elle perd tout son argent comme ça, comme une idiote, dans la drogue. Et elle finit par tomber bas, encore plus bas. Elle devient stripteaseuse. Elle danse, mais plus du tout de la même manière qu’auparavant. Avant, elle était admirée pour son talent considérable. Désormais, ce ne sont que ses formes qui intéressent les hommes qui payent pour venir la voir. Elle est loin, l’incroyable Amanda. Du paradis, elle fait une descente jusqu’en enfer. Pourtant, même là, elle se démarque. Elle plaît aux clients. Elle a ce regard brumeux, vaporeux, obscurément insaisissable. Elle a cette manière de donner assez pour attirer, mais pas trop pour continuer à intriguer. Elle a toujours su rendre les gens dépendants d’elle, Amanda. Et ses clients ne font pas exception. La propriétaire du club commence naturellement à s’intéresser à elle. Elle en fait sa petite chouchoute. Encore une fois, elle devient le centre d’attentions. Elle en rend certaines jalouses, mais elle n’en a rien à faire. Elle aime trop briller, Amanda. Surtout, elle n’est pas idiote. Elle espère plus, elle veut plus. Alors quand Jen’, la propriétaire du club commence à faiblir, elle lui propose ses services, innocemment. Elle sait se rendre indispensable, à tel point qu’elle est promue gérante du club. Peu à peu, elle fait ses preuves. Elle sait diriger, elle a fait ça toute sa vie. Parallèlement, elle continue les conneries. La drogue surtout. Elle s’essaye occasionnellement à l’héroïne, mais elle reste une adepte de la cocaïne. Elle fume de l’herbe aussi, mais qu’est-ce donc à côté du reste. Elle ne cherche pas à arrêter. C’est peut-être ça le plus drôle avec Amanda. Elle sait gérer tout le monde, sauf elle-même. Mais elle assure, malgré tout. En vérité, elle considère Jen’ comme une sorte de mentor. Elle ne veut pas la décevoir. Elle est la seule qui lui a donné une chance quand elle n’était plus celle qu’elle avait toujours été. Peut-être qu’au fond, elle a une conscience en fin de compte. Mais, avec les autres, elle est toujours cette garce. Ça fait partie d’elle, surement. Elle a ce côté obscur, bien plus sombre que la plupart des gens. Mais elle suit son bout de chemin, jusqu’à ce que quelques années plus tard, alors qu’elle n’a que trente ans, Jen’ lui annonce qu’elle prend sa retraite. Et surtout, qu’elle lui laisse les rennes. Comme ça, sans contrepartie. Bien sûr, elle accepte. Ça fait trois ans. Trois ans qu’elle a arrêté complètement le striptease pour diriger la boîte. Et elle le fait bien. Elle protège ses employées, quitte à utiliser les grands moyens. Elle est toujours cette femme prête à tout, Amanda. Elle s’occupe du club avec une poigne de fer. C’est un business, le striptease. Elle l’a vite compris, et elle sait s’en servir pour récolter pas mal d’argent en parallèle, pas toujours de façon légale. Elle a retrouvé son piquant. Elle a juste une vie atypique. Une vie différente de celle qu’on lui avait imaginée, mais une vie qui est désormais la sienne.