Olivia avait peu d’amis. Pas le temps, pas l’envie, pas la possibilité. Plusieurs raisons pouvaient le justifier, à commencer par son emploi du temps. L’avocate avait une charge de travail considérable, alors en règle générale, le peu de temps libre qu’elle avait, elle préférait le passer avec sa fille. Mais lorsque Nirvana n’était pas disponible, car en jeune femme active et dynamique, elle avait bien d’autres à faire, elle prenait conscience qu’au final, elle n’avait pas grand-monde autour d’elle. Elle avait la trentaine avancée, pas mal d’amants à son actif, mais rien qui ne s’apparentait à une potentielle histoire d’amour. Ça ne la dérangeait pas, elle n’avait pas le temps, pour ça non plus. Et c’était dans ces moments où elle sentait la solitude lui peser qu’elle se disait qu’elle devrait peut-être apprendre à se sociabiliser davantage. Mais le problème était qu’elle n’était pas très tolérante, Olivia. Oh, ce n’était pas une question de couleur, d’orientation sexuelle, d’origine ou quoi que ce soit dans le genre… Non, elle, c’était plus général. Les gens avaient tendance à l’irriter ou pire, à l’affliger. Elle avait parfois véritablement la sensation de ne pas être sur la même planète que certains énergumènes. Elle avait ses exigences, ses valeurs, et il lui était difficile de se rapprocher de ceux qui s’en éloignaient. C’était peut-être pour cette raison qu’elle aimait autant Rénathée. Elle, elle la comprenait bien souvent sur des choses qui échappaient à la plupart des gens. Elle se sentait proche d’elle, déjà à leur rencontre elle avait décelé cette proximité entre elles. Ren avait la même volonté qu’elle d’avoir cette vie parfaite, mais surtout la même façon d’échouer. Elles se ressemblaient beaucoup, et parfois Olivia avait la sensation qu’elle la comprenait mieux que personne, mieux que sa propre fille. De ce fait, une relation complice et forte s’était instaurée au fil du temps entre les deux femmes. A tel point que lorsqu’elle avait besoin d’oublier tout ce que sa vie avait d’imparfait, c’était vers elle qu’elle se tournait spontanément. Et ce soir était l’un de ceux-là. Un trop-plein de travail, un trop-plein de disputes, peut-être un « pas assez » de légèreté, aussi. Alors elle avait fini par téléphoner à son amie pour lui proposer qu’elles se voient. Et celle-ci ayant accepté son invitation, elles avaient pu passer un petit moment à se balader simplement dans les rues de la ville. New-York semblait encore plus mouvementée en période de fêtes, mais l’effervescence habituelle laissait place à cette ambiance particulière, assez agréable en somme. Les deux amies avaient pu en profiter, faisant un tour au marché de Noël de la ville. Même si pour sa part, Olivia n’avait rien acheté, les babioles exposées n’étant pas véritablement ce qui l’inspirait le plus. Elles avaient tout de même passé un bon moment. Mais la faim commençant à se faire ressentir, elles avaient convenu de se rendre à un restaurant pour dîner. Tout en avançant dans les rues de la ville, la belle brune parcourait d’un regard distrait le choix qui s’offrait à elles deux. Et, en même temps, elle s’intéressa à la vie de Ren, n’ayant pas pu discuter autant qu’elle l’aurait voulu lorsqu’elles se trouvaient plongées au marché de Noël. – Alors, dis-moi, comment vas-tu ? demanda-t-elle simplement, bien qu’elle en attendait un peu plus de la réponse de son interlocutrice. Elle ne l’avait pas vue depuis quelques temps déjà, alors elle était naturellement intéressée par son état d’esprit, son humeur ainsi que par ce qu’elle avait pu manquer de la vie de celle qu’elle considérait comme sa petite protégée.

Le froid hivernal se faisait ressentir malgré la chaleur du long manteau noir qu’elle portait. Marchant d’un pas tranquille mais pas trop lent dans l’idée de trouver rapidement un restaurant où elles pourraient trouver refuge, Olivia tentait de se focaliser sur les paroles de son amie pour oublier sa faim comme le froid environnant. Et avec ce qu’elle venait d’entendre, elle n’eut aucun mal à le faire. Tournant les yeux vers Ren, elle entrouvrit légèrement les lèvres, surprise mais pas sous le choc par sa petite confession. Elle avait appris à connaître la jeune femme au fil du temps, alors elle imaginait sans mal la honte incommensurable que celle-ci avait dû ressentir. Celle-là même qu’elle aurait ressentie à sa place. Le fait de vomir sur quelqu’un, déjà, ce n’était pas la meilleure image à donner. Mais qu’en plus, il s’agisse de son ex petit-ami, c’était surement l’une des pires situations qui soient. Et, en vue des réactions de Rénathée, elle était sans aucun doute du même avis qu’elle. Mais en toute bonne amie, elle tenta de la rassurer, à sa manière. – Si ça peut te réconforter, ton réveillon a sans doute été moins pire que le mien ! assura-t-elle en songeant un instant aux longues et effroyables heures qu’elle avait passé coincée dans cet ascenseur auprès de cette pseudo-star de la radio plus agaçante qu’autre chose. Mais reprenant la parole, elle s’enquit rapidement. – Et cet ex ? Comment a-t-il réagi ? Parce que ça lui semblait important, tout de même. Sur le coup, elle en avait quelque peu oublié le but premier de leur petite promenade, s’intéressant plutôt à leur conversation tandis que l’heure, elle aussi, avançait. A la petite remarque de Ren, elle esquissa un petit sourire en coin. C’était bon d’avoir une amie qui nous connaissait assez pour deviner nos humeurs sans même avoir besoin de nous voir. Et elle était forcée d’admettre qu’elle n’était pas de l’humeur la plus légère qui soit en ce moment. – Nirvana a appris que sa mère fumait. Et qu’elle « flirtait ». Le même soir. lâcha-t-elle dans un soupir en se souvenant de la scène qu’elle lui avait faite. Ce soir-là, les rôles entre la mère et la fille s’étaient quelque peu inversés, bien malgré elle. Mais ce n’était pas seulement cela… Elle avait surtout l’impression qu’il manquait quelque chose à sa vie, sans qu’elle ne puisse dire quoi. – Je crois que j’ai besoin d’un break, un vrai. Un peu plus qu’une sortie au restaurant… D’ailleurs, c’est moi ou ils sont tous en train de fermer ? termina-t-elle, l’air un peu perplexe. Il n’était pas si tard, si ?

La question de son amie la fit sourire, amusée. L’espace d’un instant, elle resta silencieuse, en pleine réflexion. Elle ne savait pas vraiment si c’était pire, certes. Sur le coup, certainement parce que son supplice avait duré plus longtemps que celui de Ren, mais avec du recul, elle s’en sortait seulement avec une personne de plus qui l’agaçait. Ce qui n’avait rien d’exceptionnel. – Je me suis retrouvée enfermée durant deux heures dans un ascenseur minuscule avec une prétendue star de la radio qui ne sait pas se taire. déclara-t-elle en secouant brièvement la tête, comme pour chasser ce mauvais souvenir de sa mémoire. Il y avait de meilleures façons de commencer l’année. De toute manière, le nouvel An était bien trop surfait de son propre avis. Cherchant à en savoir plus sur celui de son interlocutrice, Olivia esquissa l’ombre d’un sourire. Elle savait à quel point l’image de la demoiselle comptait à ses yeux. Et elle la comprenait. Sa réputation lui était primordiale, même si son image auprès de sa fille comptait plus, irrémédiablement. – La question qui se pose est de savoir : Qui était aussi exceptionnel pour sortir avec Rénathée Van Clee sans être de son milieu ? demanda-t-elle, taquine. Mais s’insinuant de plus en plus dans les rues de New-York, les deux amies ne prenaient pas réellement conscience qu’elles s’éloignaient de leur périmètre habituel, trop prises dans leur discussion. Et pour cause, pour Olivia. Elles avaient fini par évoquer le sujet qui la préoccupait le plus, à savoir sa fille. Nirvana n’était pas une mauvaise fille, elle savait même être adorable. Mais leur relation, tout en étant très forte, était quelque peu étrange. Peut-être était-ce sa faute, à elle qui maintenait volontairement une distance entre celle qu’elle était, et celle qu’elle voulait paraître aux yeux de sa fille. – 22 ans. Je sais, oui. Mais je n’ai pas envie qu’elle ait une mauvaise image de moi, seulement plus elle grandit, moins elle est naïve sur sa mère. Elle la couvait trop, sa fille. C’était certain, ça. Mais allez dire ça à Olivia Brant. Pour l’heure, les deux jeunes femmes venaient surtout de se rendre compte qu’elles s’étaient légèrement… Perdues. Une moue frustrée sur le visage, elle laissa un léger rire le remplacer aussitôt lorsque Ren releva son histoire de flirt. Secouant la tête, elle lui affirma. – Mais il n’y a rien à raconter ! Si tu me trouves un restaurant acceptable, je t’en parlerais. Sinon, on va finir là-dedans, tu vois ? ajouta-t-elle en désignant de son doigt parfaitement manucuré mais critique l’enseigne qui leur faisait face. Une sorte de snack dont l’odeur d’huile infecte arrivait déjà à ses narines. Brr. Plutôt mourir. Mais il avait le mérite d’être le seul lieu ouvert à proximité.