Les choses ne sont pas franchement allées en s'améliorant à l'adolescence. Papa-maman auraient aimé que leur garçon suive le chemin de l'excellence, qu'il étudie fort en cours pour saisir toutes ces opportunités que eux n'avaient même pas eu la possibilité d'envisager. Plutôt du genre grande gueule, Ariel n'en est pas pour autant devenu une petite frappe ou un provocateur, se rangeant du côté des pacificateurs à belle frimousse. Il est bien vite tombé dans la weed, passant le plus clair de ses soirées à squatter des immeubles vides avec ses copains pour fumer un joint et écouter de la musique underground. Il obtient son diplôme de justesse mais n'envoie aucune demande pour l'université, même s'il dit le contraire à ses parents, juste histoire qu'on lui fiche la paix. Mais il n'a pas échappé aux engueulades quand ils ont fini par comprendre qu'il ne comptait rien faire de sa vie. Parce que clairement, il n'avait jamais réfléchi à ce qu'il aimerait faire dans dix ans, comme la plupart des gosses le font. Lui ce qu'il voudrait, c'est être libre, voyager là où il a envie, ne s'engager nul part, ne jamais avoir de contrainte. Même si tout ça, c'est rien qu'une utopie, il le sait bien.
D'ailleurs on tarde pas à le mettre à la porte, histoire qu'il se bouge les fesses et se trouve un job. Sauf que Ariel, il est pas du genre à suivre les conventions sociales et à se couler dans un moule, il préfère créer ses propres règles comme ça lui plait. A la recherche de thune facile, il accepte de revendre quelques produits pour un pote de pote de pote, histoire d'allier son amour pour les fêtes et un moyen de payer la chambre minuscule qu'il a dégoté dans un immeuble de Brooklyn. Il vit dans une situation assez précaire pendant plusieurs mois, abusant clairement de ses conquêtes pour profiter de leurs apparts plus spacieux et surtout de leurs frigos. Même si face au reste du monde, il est le type cool, décontract, avec qui on est sûr de s'éclater en plus de récupérer quelques substances pour bien s'amuser. Il a très peu de contact avec sa famille, sauf avec sa mère qui lui apporte souvent de la bouffe pour être sûr que son fils ne manque de rien sans pour autant s'opposer directement à la décision du père de famille de lui apprendre la vie à la dure.
Et puis y a Georgia, et ça change tout même si il préférerait continuer à croire que ça change rien du tout. C'est d'abord des regards, du flirt, comme il l'a déjà fait avec tellement d'autres filles avant elle. Elle vient pas du même monde que lui, il faudrait être aveugle pour ne pas s'en rendre compte mais elle est loin d'être une pète-sec, comme si elle n'appartenait pas vraiment aux conventions de son statut financier. Alors il lui tourne autour, parce qu'elle le fascine cette gamine. Toujours le sourire aux lèvres, toujours l'air heureuse, et pas pour se donner un genre. Un peu fleur bleue aussi, il est sûr qu'elle est de celles qui croient encore au prince charmant. Au début, il se dit que c'est une proie facile, parce que c'est ce qu'il perçoit d'elle. Qu'il pourrait très bien envisager de s'amuser ensemble quelques temps avant de reprendre leur chemin chacun de leur côté. Mais c'est là qu'il s'est planté et qu'il s'est fait prendre à son propre jeu, à force de vouloir jouer avec le feu. C'est lui qu'il a piégé, il s'est exposé dans cette histoire et finalement, il peut s'estimer heureux qu'elle ne l'ait pas envoyé chier quand il lui a dit tout ça, ce soir-là, à sa fête d'anniversaire.
Après ça, ils ont vite pris leur décision de se barrer de cette ville, avec des idées plein la tête mais pas vraiment de plan précis. Quand il repense à cette époque, ça reste sans aucun doute les plus belles années de sa vie, à pas se soucier de ce qui se passera le lendemain. Pour seule attache, un sac à dos et un peu de thunes. Regarder le lever du soleil. Ecouter le silence des nuits dans le désert, à se serrer sur la banquette arrière. Faire l'amour sous les étoiles en oubliant que le monde continue à tourner autour d'eux. Ils ont même pensé pousser le voyage jusqu'au Brésil, sur les traces des origines d'Ariel mais n'ont jamais dépassé le Mexique. Et au final, il s'en fout, c'est pas tant la distance qu'ils ont parcouru qui compte. D'ailleurs, il a un peu la boule au ventre de revenir à New York, mais fallait bien que leur road trip s'arrête à un moment ou à un autre. Pourtant, ils sont loin d'être malheureux tous les deux dans leur vie new yorkaise, à écumer les soirées, à étaler leur jeunesse et leur bonheur de façon indécente sur les réseaux sociaux. Il a du mal encore aujourd'hui à comprendre pourquoi c'est à ce moment-là que son compte Instagram prend une envolée particulière, alors qu'il alterne de façon complètement anarchique les photos de soirée sur les toits du building et d'autres de leur road trip à travers le pays accompagné de longs paragraphes sur son amour pour la nature et pour une vie simple et déconnectée. Une absence de logique qu'il assume puisque de toute façon, personne ne lui demande de s'expliquer. Et puis, ça a un peu dégénéré, sans qu'il arrive à se rappeler si l'idée vient de lui ou d'elle ou si ils ont simplement décidé ça ensemble sur un coup de tête. Mais les vidéos d'eux au lit circulent rapidement, si bien qu'ils finissent même par en tirer de l'argent. Encore une façon plutôt cool de gagner sa vie.
Honnêtement, il aurait pu continuer à vivre comme ça pendant très longtemps. Mais les choses se sont sérieusement gâtées quand Georgie a abusé des conso. Les sirènes, l'ambulance, l'hôpital, ça lui a fait un sacré choc. Et puis du jour au lendemain, il ne peut plus la voir, que la situation le détruit de l'intérieur parce qu'il se sent coupable. Coupable de pas avoir pu la calmer, de pas avoir su la protéger. Parce que cet événement est juste représentatif de leur vie ensemble. Destructive, toxique et addictive. Pourtant, il s'imagine pas disparaître comme ça de sa vie, même si l'idée le tente à plusieurs reprises. Ce serait facile. Elle ne peut pas sortir de désintox et il est libre, libre de prendre le premier avion et de se casser à l'autre bout du pays, sans un mot. Mais chaque visite le fait changer d'avis ou hésiter assez longtemps pour qu'il n'arrive jamais à le faire. Au fond, c'est surtout que ça le fait flipper de s'être attaché si fort à quelqu'un, sans même s'en rendre compte, et qu'il est pas sûr de supporter un truc pareil. Si la prochaine fois elle survit pas, dans quel état il finira lui ? Dans quel état on le retrouvera si elle le quitte ? Alors l'idée s'installe dans son esprit, d'abord petite voix innocente avant de devenir un hurlement continu. Mieux vaut détruire avant d'être détruit. Et c'est ce qu'il fait, alors qu'elle est sortie depuis quelques mois. Comme ça, sans prévenir, sans laisser de signe, alors que tout allait bien le jour d'avant, Ariel boucle ses affaires, prêt à disparaître. La douleur qu'il voit sur ses traits quand elle pleure et le supplie de rester ne fait que confirmer sa décision, parce qu'il refuse de souffrir à ce point à cause de quelqu'un d'autre. Pourtant, il s'en veut aussi de tout ça, de son égoïsme démesuré. Mais ce qui est fait est fait.
On lui propose au même moment de partir à nouveau en road trip pour une nouvelle campagne de pub d'une marque de vêtements qui se veut brancher nature. La seule condition, postée quotidiennement l'avancement de son voyage sur les réseaux sociaux, sans changer son discours de hippie chic, en portant les vêtements offerts généreusement par la compagnie. En gros, zéro contrainte à ses yeux, seulement du fun, le tout en étant payé. Mais c'est pas pareil et le souvenir des mois passés avec Georgie le travaille, tout au long de l'été. Il a pas à se plaindre malgré tout, à se dorer la pilule sur les plages brésiliennes, à profiter de magnifiques expéditions. C'est avec un certain soulagement qu'il revient à New York en septembre. Il lui arrive parfois de se demander si c'était une si bonne idée que ça de rompre pour se protéger d'un possible coeur brisé. Mais ce qui est fait est fait, même si il ignore encore si il sera capable de tenir le même discours quand un autre type viendra lui tourner autour alors qu'il est là. Et puis, Georgia n'est pas la seule fille à occuper son esprit depuis son retour. Il a toujours eu un faible pour les rouquines.