« Félicitation, Madame Reynolds ». Dans la petite chambre d’hôpital, tous les regards se tournent vers une petite bouille qui ne cesse de gigoter, emmitouflée dans une couverture tricotée main avec une large lettre A brodée sur le dessus, Quinn ne cesse de lever les bras vers sa mère. « C’était ma couverture, j’espère qu’elle te portera chance. Ton père a voulu t’appeler Quinn, brisant la tradition Sheffield, mais tu seras à jamais ma petite Anastasia. Reine de mon cœur. Je t’aime ». Son père la tient dans ses bras, assis au bord du lit, il dépose de délicats baisers sur le haut de son crâne, là où quelques mèches brunes se battent en duel. « Allison, ta défaite est une première. Notre bébé aura ta force de caractère, mais elle devra affronter un grand nombre de batailles une fois sortie de cette chambre. J’espère que ce prénom lui donnera la force dont elle aura besoin. Dans cette arène, elle est la Reine. » Avec un sourire mi-figue, mi-raisin, il conclut « Puis, je suis fier d’avoir rompu cette satanée tradition, avec tous ces A, on commençait à perdre la tête ». Ils rient tous deux, avant de couver de baiser leur fille.
Premiers pas. Premiers mots. Autant de premières fois qui la rapproche inévitablement du monde dans lequel elle allait bientôt se noyer, non sans se battre. Des cours de danse, de chant, de théâtre. Et tout ça pour quoi ? Atteindre la perfection. Les années passèrent, son corps filiforme, sa posture, ses manières, la hissait en première place, à la tête d’un gang de filles qui s’amusaient à jouer avec le destin des autres. Appréciés, ou dénigrés, vous pouviez passer du tout ou tout grâce à Quinn. Faire tourner ce petit monde parfait n’était pas sans conséquence, le retour du bâton, c’était sa boulimie. La jeune fille ne pouvait s’empêcher de manger en secret, mais également de régurgiter en secret. Personne n’était au courant, bien que son groupe se doutait de quelque chose à force de surveiller la porte. Une porte close, et qui devait le rester coûte que coûte. Ses parents ne comprendraient pas, et elle finirait en première page des tabloïds.
À l’âge de seize ans, elle rencontra Chanel, qui lui fut d’une grande aide pour soigner sa boulimie. Son amie ne la jugeait pas, ce qui était rare dans leur milieu. Parlant de tout et de rien, elle devint vite très proche. Elles étaient un groupe de quatre, et elles se surnommaient elles-mêmes les « Bitchies ». Pour Quinn, tout était plus simple dans ce groupe, il lui suffisait de suivre le mouvement. Elle était accommodante. Les soirées huppées, la pression exercée par le milieu, la jeune femme prenait du poids depuis qu’elle ne vomissait plus ses excès. C’est ainsi qu’elle devint anorexique. À défaut de trop manger, elle finit par cesser de s’alimenter. Deux extrêmes, que la demoiselle n’eut aucun mal à franchir. Maigrissant à vue d’œil, des problèmes de santé firent leur apparition. Ses parents découvrirent son état, et se fut le début de la descente aux enfers.
Pour échapper au contrôle parental, elle passa le plus clair de son temps libre chez les O’Maley, auprès de sa meilleure-amie. Au fil du temps, elle eut un crush pour le frère de Chanel, mais elle le garda enfoui dans son jardin secret. Pourquoi ? Il est le frère de Chanel, et bien qu’ils se chamaillent à longueur de temps, ils s’adorent plus que tout au monde. De plus, Chanel est sa meilleure amie. Si Chanel lui avait donné son accord, mélanger ces deux relations aurait été d’un compliqué ! Revenant progressivement auprès de ses parents, Quinn oublia progressivement le frère de Chanel, sans vraiment l’oublier. Les deux jeunes femmes commencèrent à sortir le soir, et il fut plus facile de passer à autre chose.
La majorité. L’université. Les cartons d’invitation se bousculaient dans sa boite aux lettres. Pendant un an entier, les jeunes femmes sortirent s’amuser tous les soirs, toujours en charmante compagnie. Insouciantes, jusqu’à ce soir-là. Quinn dansait au centre de la boîte, sous les néons, s’imprégnant de la musique et de l’ambiance. Après des dizaines de shooters bus au cours de la soirée, la jeune femme partit en direction des toilettes, ne remarquant pas les trois hommes qui la suivit. Une fois près de la porte, ils l’empoignèrent la forçant à entrer. Une tournante. Trois viols successifs. Son monde venait de s’effondrer en mille morceaux. Que pouvait l’argent face à ce carnage ? Il permit d’arrêter les trois hommes, et de camoufler le scandale, mais c’est tout. Chanel l’aida à remonter la pente, la protégeant des garçons en soirées protestant une histoire de fidélité à Dieu jusqu’au mariage. Comme si Quinn était croyante… Elle maudissait Dieu plus que tout au monde depuis cette nuit-là, et la voilà à prêcher la bonne parole en public. Karma.
Sa colère, son acharnement, sa volonté, furent toutes les trois mit au profit de ses études. Première de sa promo, elle n’eut aucun mal à trouver un job dans le domaine de l’édition à la sortie de l’université. Bien sûr, son nom de famille y était pour quelque chose. Au fil des années, elle fit ses preuves, et gravit les échelons jusqu’à devenir rédactrice en chef. C’était une maigre consolation, mais son acharnement au travail lui permettait d’oublier temporairement tout le reste. Elle était la meilleure dans son domaine.
Pour revenir à la question du début, pourquoi privilégier Anastasia à Quinn ? Quinn a eu son nombre de batailles, elle a vaincu sa boulimie, son anorexie, son viol. Il était temps que cette personne disparaisse. Quinn, c’est son passé. Anastasia, c’est son avenir.