Isaac, c’est un peu un garçon qui n’a pas eu de chance dans la distribution des familles. Bien sûr, il a eu la chance de tomber dans une famille avec  pas mal d’argent, ce n’est pas là que se trouve le problème. Son père était un homme qui avait trimé toute sa vie pour en arriver là où il en était, quelqu’un qui n’était malheureusement pas très intelligent, juste assez pour suivre les ordres qu’on lui donnait et attendre sa récompense. Fierté mise de côté, il a fini par accumuler un petit pécule qu’il a eu la bonne idée de réinvestir dans des actions qui lui avaient été judicieusement conseillé par un de ses amis. C’était là tout le secret de ce qu’il aimait appeler « la fortune des Fisher », une fortune qui n’avait été construite que sur la chance et la soumission du paternel d’Isaac. Peut-être aigris de cette vérité, ce fantôme a hanté l’éducation que son père donna à Isaac, le poussant à essayer de transformer son fils en machine commerciale, un adepte de la bienséance et de la pensée universelle. Il voulait faire de son fils un homme intelligent capable de reprendre son affaire et en faire quelque chose de grand, quelque chose dont il pourrait être fier et dont il pourrait s’enorgueillir. Toutefois, si cette idée partait d’un bon sentiment, Isaac fut durant toute sa vie bridé par son père qui avait la main mise sur son éducation, sa mère juste bonne à sourire et faire bonne figure devant les partenaires de son père. Isaac n’avait pas le droit de jouer dans la boue, de s’amuser à lancer des marrons dans la tronche de ses amis (quoi qu’il n’avait pas d’amis, cela dit) et la moindre vulgarité ou « merde » était absolument proscrit.

Pouvait-on qualifier Isaac d’enfant malheureux malgré l’avenir glorieux auquel son père essayait de le préparer ? Après tout, il n’était pas exactement comme le cliché de l’enfant triste non aimé par ses parents. On pouvait même dire que son père voyait en lui quelque chose de grandiose et que cette attitude pouvait se traduire à une relation père/fils tout ce qu’il y a plus de classique. Ce genre de relation n’était pas une chose rare dans les familles qui se voulaient « aristocrates » ou encore des bureaucrates. Néanmoins ce n’était pas ce à quoi Isaac aspirait. A vrai dire, il avait toujours voulu devenir un chanteur révolté, un rockeur extraverti, un aventurier urbain, peut-être même un hippie. N’est-ce pas normal pour un fils de chercher à se révolter face à son destin ? Des envies que son père essaya d’étouffer, vainement, tournant jusqu’à la psychose. Au final, tout ce que Isaac récolta avec ses envies de révoltes, ce n’était que le renforcement de l’étreinte qu’avait déjà son père sur lui. Oh, bien sûr, sa mère essaya quelques fois d’aller dans son sens, bien entendu. « C’est un enfant, c’est normal qu’il désire vivre comme les autres enfants. » « Il n’est pas obliger de partager tes ambitions et de marcher dans tes pas », des discours qui auraient pu être considérer comme courageux s’ils n’avaient pas totalement disparu lorsque que le père rappela sa position de chef de famille et détenteur de la seule fortune qu’ils avaient. Comme quoi, l’argent fait parfois plus de bruit que l’amour d’une mère. Et puis, qu’est-ce qu’Isaac pouvait bien faire pour aller contre lui ? Il n’avait ni indépendance, ni argent, ni endroit où se réfugier. Alors Isaac se plia aux ambitions de son père, devenant doucement le petit businessman que son père désirait voir, caressant l’espoir qu’un jour il deviendrait autre chose qu’un simple pion sur l’échiquier d’un père obsédé par le contrôle.

Les années passèrent et avec elles le sentiment de rejet d’Isaac pour la vie qu’on le forçait à vivre. Il détestait ce qu’il devenait, car ce n’était pas ce qu’il voulait. Comme un fauve en cage, il n’attendait qu’une brèche dans sa cage de verre pour s’extraire de ce destin qui n’était pas le sien. Cette brèche ce fut l’année de ses 21 ans, de sa majorité, de son début d’indépendance. Le jour même, il s’enfuit de chez lui après avoir pris le peu d’argent qu’il pouvait emporter, sans dire un mot. Il avait vécu reclus pendant trop longtemps, c’est pourquoi il prit le premier moyen de transport disponible pour se rendre à une destination inconnue.  

Quelle belle surprise que celle de savoir que cette destination inconnue était la grande ville de New-York, toi qui n’avait grandi que dans ta petite ville du Connecticut. Un mélange d’excitation et de peur, une envie d’aventure et l’appréhension de savoir jusqu’où tu pouvais aller par tes propres moyens. En tout cas, pas question de devenir un petit businessman qui pliera les genoux devant les ordres d’un patron tortionnaire. Pas question de faire ton beurre sur le dos des innocents, tu deviendrais un grand artiste et tu laisserais ton empreinte dans cette ville et dans tous les États-Unis. Avec l’argent que tu avais pris avec toi et ce que tu avais déjà utilisé pour te rendre jusqu’à New-York, tu ne pouvais pas aspirer à autre chose qu’un bête logement dans le Bronx, un quartier qu’il n’était pas conseiller de fréquenter. Mais peu importe où tu commençais, l’important c’était de suivre la route que TOI tu t’étais fixé. Des grands rêves qui ne laisseraient trois ans plus tard qu’une aussi grande déception.

Te voilà maintenant trois ans plus tard, tu avais fêté tes 24 ans en soufflant sur cigarette jusqu’à ce qu’elle s’éteigne et enfilant ta capuche pour commettre n’importe quel crime qui pouvait te permettre de remonter la pente. Toujours dans le Bronx, sans un sou en poche, te voilà réduit à déambuler dans les rues comme un charognard afin de pouvoir voler ce que tu pouvais pour te faire de l’argent. Un portable, un portefeuille, un sac à main. Des fois tu aurais presque un pincement au cœur lorsque tu jettes un portefeuille à la poubelle avec tous les souvenirs qu’il renferme, après l’avoir dépouillé intégralement de ce qui avait de la valeur. Mais tu étais complètement enfermer dans ton égoïsme, à un point où tu ne voyais plus le mal que tu faisais autour de toi. Pendant ces trois ans, tu avais appris à te fondre dans la population du Bronx, tu avais tes fréquentations qui étaient tout ce qu’il y avait de mauvais. Ton petit visage d’ange te permettait de ne pas avoir l’air suspect, tu avais appris à sourire grâce à ton enfance tortueuse. Et ça, tes amis savaient comment l’utiliser. Tu avais participé à divers délits, allant du simple vol à la tire jusqu’au cambriolage ou braquage. C’est sûrement une chance que ne sois toujours pas tombé dans les filets de la police ou alors ça pouvait aussi signifier que tu étais bon à ce que tu faisais. En tout cas, tu étais devenu un parfait enfant de la rue. Mais tu nourrissais toujours cette envie de t’en sortir, de devenir quelque chose, de devenir quelqu’un. Aujourd’hui partagé par ton envie de donner forme à tes rêves et de baisser les bras en rentrant chez toi dans le Connecticut, tu passes tes journées à vivre de tes crimes, perdant de plus en plus cette lueur qui t’animait. Qu’est-ce que New-York peut apporter à un garçon perdu comme toi ?