I – Romulus et Rémus.
L’histoire dit que deux princes, nés d’un amour secret entre ciel et terre, ont vu la nuit en une fraîche soirée d’été. Le premier portait une couronne faite d’or et de laurier tandis que le second tenait entre ses mains une plume de perles de culture. De lucioles était leur berceau et de soie leur fine peau. Les jumeaux formaient une unité, l’un marchant dans les pas de l’autre bras dessus bras dessous malgré leur différence. Romulus avait tout pris de leur mère italienne. Une peau de lait, des lèvres vermeilles qui allaient avec sa crinière cuivrée alors que Rémus portait sur son visage l’élégance et les mystères du Japon entier. Une peau dorée au service de la diversité.
Nous sommes nés dans la belle et déchirée Hiroshima. Il a toujours été plus que moi. Plus beau, plus drôle, plus fort, plus intelligent. Il partageait tout, il était moi et j’étais lui.
Issei et Salieri vacillent entre l’Europe et l’Asie.
L’un roi l’autre poète de sa gloire.
Main dans la main face au monde.
- Marie, ma chérie, tu ne penses pas que Salieri soit un prénom difficile à porter ?
- Au moins ça ne ressemble pas au nom d’une bière et il a du prestige.
- Mais, Marie ! Issei était mon grand-père.
- Et ton grand-père adorait la bière Ichiro.
- Je te l'accorde.
Ichiro et Marie, un mois avant la naissance des princes.
II – Issei dans le métro.
Issei, petit enfant sage qui, dès son plus jeune âge, a voué sa vie à l’écriture et la littérature. Poète en herbe, artiste à fleur de peau. Les années ont passées et il est resté cet artiste qui fait la fierté de ses parents et surtout de Salieri qui a préféré suivre les traces de son père, ambassadeur du Japon en France. Le jeune eurasien a passé sa vie entre les terres françaises et la douceur de son pays natal. Une vie à se chercher, se perdre et se retrouver dans l’art avec l’aide de sa mère, violoncelliste talentueuse. Issei a pour habitude de ne pas spécialement parler de son enfance car il n’y a rien à dire. Non cette enfance était parfaite, tout était bien, tout était beau. L’adolescence est arrivée avec une douceur étonnante grâce à ses meilleurs amis de papier qui lui servaient de bouclier face à l’horreur de la réalité. Stendhal, Maupassant, Wilde, Hugo, tous l’ont aidé à entretenir sa peur maladive de l’autre, de l’extérieur qu’il aimait pourtant de toute son âme à travers ses récits des temps passés. Ce n’est qu’à l’âge de dix-sept ans que le jeune Issei est arrivé à se sortir de cette spirale infernale avec l’aide de Salieri.
- Papa a encore un diner mondain. On y va.
- On y va ? Comment ça ?
- Maman, toi et moi nous allons à se diner et tu ne va pas t’ennuyer mon frère ! Figure toi qu’il y a un merveilleux clavecin d’époque là-bas et…
- Wow, wow, wow, Sally, tu veux en venir où ?
- Tu sais que je ne suis Salieri que de nom Issei, à toi de faire le show, tu vas tout dégommer.
- Hors de question.
- Papa y tient frangin.
- Je te hais.
- Ca va aller, Mozart.
- Crétin.
C’est ainsi qu’un soir d’avril Issei s’est retrouvé à jouer face à une assemblée importante. Le stress étaient accablant, les doigts du jeune homme tremblaient alors que des goûtes de sueur perlaient sur son front. C’est sous l’œil bienveillant de ses parents qu’Issei reçu le premier tonnerre d’applaudissement de sa vie et pourtant ce n’est pas ce qui l’importait le plus à cet instant. Non, ce qui captivait le jeune homme c’était le regard d’une belle jeune fille brune qui l’applaudissait en souriant. Son cœur s’était douloureusement serré dans sa poitrine
Issei était guérit. Il n’avait plus peur des autres, de sortir, d’affronter la réalité.
Le vrai était beau.
Le vrai, c’était le sourire de cette belle inconnue.
III – Barcelone en féline.
Les choses se sont passées très vite. Le sourire, le cœur d’Issei qui se sert, la foule qui se referme sur le sourire de l’ange, le jeune homme qui panique, qui la cherche désespérément du regard puis la retrouve. Des sourires puis des mots, des phrases et des regards. Le temps est passé et finalement Sofia est entrée dans la vie d’Issei qui vivait sa première belle et longue histoire d’amour. Tous deux férus de littérature et musique, c’est naturellement que leurs nuits se firent féeriques. La belle espagnole prit rapidement goût aux traditions japonaises extrêmement présentes dans la famille. Ainsi Issei et Salieri se sont fait un plaisir d’initier Sofia à l’art du thé ce qui leur valurent le surnom des « Princes du thé » qui firent le tour de la famille mais aussi de leur lycée.
Le jeune eurasien était parti très haut pour Sofia, se noyant dans leur amour plus que jamais pour composer, écrire, peindre, dessiner. Trois ans. Trois années d’échange, de nuits sauvages et de voyages, voilà ce qu’a duré cette histoire beaucoup trop courte au goût d’Issei, dévasté par la fuite de la belle. Tout alla une nouvelle fois très vite. Les larmes, les regrets, la nostalgie puis les femmes, les sourires, puis les hommes et les regards. Tout y passait, peu importait. Sofia n’était plus là pour lui, pour le protéger. Issei se lâchait et enchaînait les nuits d’un froid brûlant affolant.
Plus rien n’avait de sens.
Rien sauf son art, sa passion.
Rien sauf Salieri.
IV – L'accord.
Bénit par tous les dieux et autres saints d’hier ou d’aujourd’hui, Salieri brillait de mille feux. Éblouissant, flamboyant mais surtout grandiose. Issei passait son temps à observer celui qui est devenu sa muse le jour où il a pour la première fois usé de sa plume sacrée. Dieu et son scribe étaient unis. Ils se parlaient en silence, échangeaient des regards complices et s’inventaient des histoires au gré de l’imagination d’Issei. Salieri était le sauveur, celui qui a tendu la main à Issei quand ce dernier commençait à sombrer après le départ de Sofia. Il était son soleil, un des piliers de sa vie si ce n’est le principal. Deux années étaient passées depuis la rupture mais la peur de l’abandon était toujours aussi présente chez Issei.
- Passons un accord Salieri.
- Comment ça ?
- On ne se quittera jamais.
- Issei, t’es tellement dramatique, tu me fais rire…
- Je suis sérieux !
- Je sais, c’est ça qui m’amuse le plus !
- Crétin…
- Je ne te quitterais jamais, je ne peux pas te laisser tomber petit frère.
- Petit ?
- T’es qu’un enfant Issei. T’es fragile t’es… t’es la bénédiction de cette famille. Je dois te protéger. Tu es notre avenir.
Issei se souvient de cet accord, de cette promesse et surtout du regardé remplis de tendresse de son frère qui, comme toujours, lui tapotais affectueusement le dos. Qui aurait dit que c’était l’une des dernières fois qu’il voyait son frère ? Qui aurait parié sur la disparition de la muse de notre petit artiste ? Vaporisé, envolé, du jour au lendemain Salieri avait disparu. Son appartement était vide, il n’avait pas laissé de lettres, rien du tout, même pas un mot pour Issei qui replongea directement. Depuis le temps passe lentement malgré ses romans qui s’entassent et ses concerts de musique tantôt classique tantôt rock et dégénéré. Le sexe à outrance et les partenaires d’un soir s’accumulent à nouveau, le rendant fou, le poussant à tester de nouvelles choses, goûtant à l’interdit, se bousillant à coup de coke, de joint et autres pilules beaucoup trop colorées. Face à son état lamentable le jeune homme a décidé de quitter sa douce France et son adorable Paris pour New York, l’Amérique et ses promesses de jours meilleurs.
Depuis deux ans il mène sa vie d’artiste et d’auteur qui commence enfin à être connu pour ses nouvelles qui apparaissent régulièrement dans un magazine littéraire assez réputé et prépare actuellement un roman illustré par ses soins. Il apprend aujourd’hui encore à vivre sans son roi, ne pouvant s’empêcher de ravaler sa rage et sa douleur au quotidien. Quel beau malheur.
« Ce bordel mériterais d’être mis en roman… »